NOUS Y ÉTIONS – La deuxième édition du rendez-vous 100% dédié à la musique urbaine a ouvert ses portes vendredi à Dijon. 75.000 festivaliers étaient attendus sur l’ensemble du week-end dans une ambiance familiale, populaire et festive.
C’est le nouveau rendez-vous incontournable des fans de hip-hop. Un événement qui, en seulement deux éditions, a déjà rassemblé plus de 125.000 personnes. Avec le Golden Coast Festival, le rap – genre le plus écouté dans l’hexagone – se sent enfin représenté dans le paysage musical français. Il suit les pas du Hellfest, des Nuits Sonores, ou encore de Rock en Seine, festivals dédiés à un genre musical en particulier (métal, électro, rock). Ce week-end, la commune de Dijon (Bourgogne) a vibré au rythme du hip-hop et des performances de Gims, Gazo, SCH ou IAM, entre autres. Une riche programmation, avec quelques-unes des plus grosses têtes d’affiche de la «scène urbaine» actuelle. «C’est devenu un passage obligatoire pour les rappeurs, commente Vivien Becle, cofondateur du festival aux côtés de Christian Allex. Ils nous font confiance et ça porte ses fruits.»
Lancé en 2024, le Golden Coast est aujourd’hui l’un des rendez-vous musicaux les plus populaires de France. Il vient clore la saison des festivals. Vendredi, en milieu d’après-midi, la deuxième édition a été inaugurée par le groupe Triangle des Bermudes, auteur du single Charger, entendu tout l’été dans les boîtes de nuit, concerts et sur les réseaux sociaux. Un pari gagné pour les programmateurs, qui ne tablaient probablement pas sur le succès actuel du trio au moment de les annoncer sur la deuxième plus grande scène du festival. Le public a répondu présent, un vendredi, à 17 heures. Il partage une passion commune pour le hip-hop. «Le rap a une cinquantaine d’années, rappelle Vivien Becle. Tu peux l’aimer à 45 ans et vivre l’expérience avec des gens plus jeunes. Le choc des générations existe et c’est génial.»
Les festivaliers assistent au concert de Rilès le samedi 6 septembre au Golden Coast Festival.
Julie Bertat
Mélange de générations
L’an passé, le Golden Coast affichait une moyenne d’âge de 24 ans, soit bien plus que ce que «tout le monde pouvait imaginer», remarque son cofondateur. C’est un événement rassembleur. Il accueille sur scène des rappeurs issus de toutes les générations depuis les années 1990, période d’émergence du rap en France. Vendredi soir, la scène principale est passée du show de SCH, artiste marseillais propulsé en 2015 avec son album A7 (certifié disque de diamant par la Snep), à celui d’IAM, groupe également originaire de la cité phocéenne et considéré à ce jour comme l’un des «pères fondateurs» du hip-hop en France. La foule était alors principalement composée de parents, venus accompagnés de leurs fils ou leurs filles. Les quatre artistes, eux, dont l’âge dépasse pour chacun la cinquantaine, débordent toujours d’autant d’énergie sur scène. Ils déballent leur texte sans le moindre bégaiement. Ils «dansent le Mia», ce titre culte des années 1990. Ils débarquent aussi avec des sabres lasers rouges, arme factice symbolisant le côté obscur de la force et de Dark Vador dans la saga Star Wars . Les plus anciens connaissent les paroles par cœur. Les plus jeunes les apprennent.
Jamais je n’aurais pensé qu’un rappeur remplirait des stades ou des scènes comme celles-ci
Oxmo Puccino
«Ce qui est bien avec le rap, c’est qu’il y en a pour tout le monde, se félicite Oxmo Puccino, figure majeure du hip-hop français depuis 1998. C’est pour tous les âges, pour les filles comme les garçons. Les gens peuvent venir en famille.» C’est le cas d’Anne-Laure, 45 ans, venue avec sa fille Eva, qui a récemment soufflé sa 18e bougie. «C’est son cadeau d’anniversaire, explique la Bourguignonne. Je ne suis pas une grande fan de rap, mais j’avoue qu’il y a une bonne ambiance. Le cadre et très sympathique et les artistes sont talentueux.» Oxmo Puccino, qui se présente comme le «tonton» de l’industrie, n’imaginait pas un tel succès lorsqu’il s’est lancé il y a plus de 25 ans : «Jamais je n’aurais pensé qu’un rappeur remplirait des stades ou des scènes comme celles-ci. C’était promis qu’à deux ou trois artistes à l’époque. Maintenant, ils sont des dizaines à le faire. C’est un rêve, mais pas une victoire. C’est plutôt une suite logique, car je n’ai jamais douté de la musicalité du rap.» Et Vivien Becle d’ajouter à ce sujet : «Cette culture a tellement été critiquée. Elle existe depuis des décennies et elle vivra encore cent ans.»
De légers débordements
Parmi les concerts les plus attendus de ces trois jours de festival figurait notamment celui de Gims, l’ancien maître de «Sexion d’Assaut» au début des années 2010. Aujourd’hui au sommet de sa notoriété – il totalise quelque 18 millions d’auditeurs mensuels sur Spotify et domine le top album depuis une dizaine de semaines – le rappeur d’origine congolaise a livré un spectacle mémorable, riche en pyrotechnie et en jeux de lumière, sur la scène principale du Golden Coast samedi soir. Là encore, le public traversait les générations. Gims en a même plaisanté, expliquant qu’il devait satisfaire à la fois «les anciens» et les «enfants». Finalement, il a dédié les trois quarts de son show à des titres sortis sous sa casquette de Maître Gims (2013-2019), passant de Bella à Hola Senorita, ou encore de Zombie à Sapés comme jamais. Il a conclu sa prestation par un enchaînement de ses singles les plus récents, comme Appelle ta copine, Parisienne, Spider, Ninao, Air Force Blanche et Ciel. «Incroyable», a-t-il hurlé à plusieurs reprises, devant l’esprit familial et festif de la foule, qui s’étendait sur plusieurs centaines de mètres.
Gims interprète son tube Bella aux côtés de danseuses de Flamenco lors de son concert au Golden Coast Festival le samedi 6 septembre.
Lucie Pochet
Gims a ensuite laissé sa place à Gazo, le spécialiste de la «drill», un courant du rap très sombre et violent. Au milieu de véhicules Range Rover déposés sur scène, le rappeur originaire de Châteauroux a interprété, pour le plus grand plaisir de ses fans de la première heure, sa palette de hits (Daddy Chocolat, Drill FR 4, Kassav, Die…). Le public, cette fois, était plus jeune, plus virulent. Aucun débordement n’a cependant été notifié par les agents de sécurité du festival. Plus tôt dans la soirée, des jeunes filles ont fait des malaises lors du concert de La Mano 1.9, le nouvel espoir du rap français (6,3 millions d’auditeurs mensuels sur Spotify). L’auteur de Businessman et I’m Sorry a averti son public de faire attention à ne pas se blesser, mais l’a toutefois incité à continuer de se bousculer. Pour quoi faire ? Cet été, le rappeur Tiakola avait fait face à la même situation lors d’un concert à La Courneuve. Il avait alors menacé ses fans de quitter la scène. Son confrère SDM avait mis cette menace à exécution lors d’une prestation à Kinshasa, au Congo, fin août. Le Petit Poucet du rap français, passé par la case prison plus jeune, devrait s’inspirer de ses aînées.
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Les mêmes mouvements de foule ont été aperçus lors du concert du groupe L2B, propulsé cette année par son album Nés pour briller et son tube Pélican. Le tout, cette fois, devant l’indifférence du trio de chanteurs. De nombreux spectateurs ont commencé à insulter les petits malins, pour la plupart lycéens, qui s’amusaient à pousser les autres, les empêchant de profiter pleinement du concert. Cela reste toutefois minoritaire. L’ensemble du festival s’est déroulé dans de bonnes conditions. Le concert d’Adèle Castillon a donné une touche de variété inattendue au Golden Coast dans l’après-midi du samedi, tandis que Franglish et Keblack ont fait danser les festivaliers en fin de journée le vendredi.
Soutien à la Palestine
Le rap étant d’origine revendicatif, les festivaliers pouvaient s’attendre à entendre des artistes évoquer sur scène des sujets de société ou politiques. Ce fut finalement assez rare. Tif, talentueux rappeur algérien, a dédié l’une de ses chansons, intitulée Nothing Personal, à la Palestine. Des drapeaux se sont alors hissés dans le ciel dijonnais. De son côté, «Tonton» Rim’k a discouru sur ce même sujet : «Je veux qu’on ait une pensée pour tous les gens qui sont sur cette planète, qui sont en train de souffrir, pendant que nous sommes là tranquillement. Je veux voir tout le monde faire le signe de la paix s’il vous plaît. Free Palestine.» Et Akhenaton, leader du groupe IAM, d’adresser un autre message à ses fans : «La paix pour nous, ici, c’est la paix en Palestine et l’arrêt du génocide. Cela vaut aussi pour le Soudan et le Congo.»
Le rappeur algérien Tif embrase le Golden Coast le samedi 6 septembre en compagnie de sa troupe de musiciens.
Benjamin Canet
Cette tendance à prendre la parole sur scène, à des fins politiques, n’est pas soutenue par l’ensemble des artistes. Oxmo Puccino, par exemple, estime que ce n’est ni son rôle, ni celui de ses confrères. «C’est un terrain qui nous dépasse, avec des enjeux qui sont bien plus immenses que la vente de disques, détaille le quinquagénaire. J’ai de la chance d’être en France, où il n’y a ni guerre, ni conflit. Avec ce confort, je serais très gêné de diffuser des messages sur les réseaux sociaux et sur scène pour manifester une tristesse que je ne peux pas identifier par moi-même.» Le rappeur, qui prépare la sortie de l’ultime album de sa carrière, poursuit : «Je suis allé dans des endroits où des enfants étaient en danger de mort. Quand tu vas là-bas, sur le terrain, tu peux en parler. Je ne suis jamais dans la théorie.»
Mise en avant d’artistes émergents
Loin des discours en tout genre, d’autres artistes se sont produits sur une scène plus intimiste. Vivien Becle, cofondateur, du Golden Coast a souhaité apporter une touche plus locale à l’événement en dédiant un espace d’expression à des rappeurs dijonnais ou originaires des alentours. «Nous avons entre deux et trois artistes locaux programmés chaque jour, confie-t-il. Ils sont suivis toute l’année par nos équipes. L’objectif est de les tirer vers le haut.» Parmi eux figure Kludd, jeune rappeur dont les parents étaient chanteurs de gospel. Il s’est lancé il y a six ans sur le territoire bourguignon et aspire aujourd’hui à une notoriété nationale. «Dijon n’a jamais vraiment offert de possibilités aux artistes hip-hop, regrette-t-il. Mais j’ai vu ça comme un terrain vierge où, aux côtés d’autres artistes du secteur, nous pouvons créer notre propre scène.» Ils étaient une dizaine à se produire samedi, en début d’après-midi, avec une énergie débordante, celle de ceux qui veulent « tout casser », s’exclame Kludd. Et d’ajouter : «Le Golden Coast est un moyen de faire découvrir notre art au reste de la France. Je considère ça comme une étape. Je vise encore plus gros.»
Les DJ, aussi, ont été mis à l’honneur. «Nous avons toujours fait partie de la culture rap, explique Andy 4000, star des platines de la série Nouvelle École sur Netflix. Les deux univers sont liés. Le hip-hop français a sa “French Touch” comme l’électro. Avec nos mixages, nous sommes là pour mettre en avant cette association.» Sa consœur parisienne, Urumi, qui se produisait le vendredi soir en clôture de la première journée de festivités, loue la décision des programmateurs de mettre à l’affiche des artistes issus de l’univers electro : «Le public techno écoute aussi du rap. Il y a un certain métissage des deux genres musicaux. Ça peut faire peur de se produire dans un festival aussi spécialisé, mais c’est l’occasion de créer un pont entre les deux mondes.»
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Le Golden Coast, dans une optique de devenir la capitale du rap français, a construit son parc de manière à réunir tous les mouvements associés au hip-hop. Entre les concerts, les festivaliers pouvaient s’exercer au basketball sur un parquet aménagé et jouer à des jeux d’arcade. Des entreprises partenaires du festival, à l’instar de Deezer qui organisait des blindtests ou du club de football de Dijon, ont investi les nombreux hectares du parc de la Combe à Serpent. «Nous réunissons toute cette culture qui mélange sport, musique et mode», décrypte Vivien Becle, qui assure avoir financé son festival grâce à l’aide des mécènes et de la ville. La moitié du budget prestataire de cette année est, en effet, attribuée à des collaborateurs locaux. En 2024, le festival avait rapporté plus de trois millions d’euros de retombées directes et indirectes à la région Bourgogne. À voir si cette deuxième édition, qui s’annonce pour le moment encore plus prometteuse, sera à nouveau aussi fructueuse.
Un terrain de basketball a été aménagé au sein du Golden Coast Festival.
Louka Pannetier