Scy-Chazelles en automne, en plein confinement. Huit semaines en solitaire à regarder les premières feuilles tomber, à écrire. Julien Thèves, 53 ans, a publié son premier livre, « Précarité » en 1999. En octobre 2020, il a été accueilli en Moselle dans le cadre d’une résidence d’auteurs. Sur les hauteurs de Metz, en pleine pandémie, il a amorcé l’écriture de son cinquième livre, « Ils étaient de l’Est ».
Sur les traces de sa famille
« Fabienne Jacob, une amie et romancière mosellane m’a parlé de la résidence d’auteurs à Scy-Chazelles. J’ai hésité à postuler, il fallait un projet. Je me suis dit, si je vais en Lorraine alors je partirai sur les traces de ma famille. » Sa famille, ses grands-parents. Car si Julien Thèves est né à Strasbourg, qu’il a vécu en Espagne et grandit au Pays basque, ses grands-parents, eux, étaient de l’Est. Enfant, Julien Thèves quittait l’océan chaque été pour passer deux mois de vacances dans les Vosges et en Moselle, « dans la ville de B ». C’est le sujet de son dernier livre. Un récit nourri de détails sensoriels qui ne raconte pas l’histoire de ses grands-parents paternels et maternels mais qui convoque le souvenir de ces « quatre morts qui vivent en lui. » Un grand-père effacé et douanier, un autre flamboyant, photographe et adjoint au maire. Les souvenirs aussi de deux grands-mères qui au fil des pages « touillent », « hument », « goûtent ». La mémoire encore d’un territoire, les forêts des Vosges, un minuscule appartement en Moselle dans une cité dans la ville de B. « La solitude pendant ma résidence m’a permis de raviver le souvenir de mes grands-parents. Avec ce livre j’ai voulu les retrouver au milieu des lacunes de ma mémoire. Quand on est enfant, on n’interroge pas les adultes. Mais quand on écrit, les souvenirs remontent. »
Écrivain de l’intime
La mémoire, le souvenir, l’exploration des émotions passées sont des thèmes récurrents dans l’œuvre de Julien Thèves. En 2018 avec « Le pays d’où l’on ne revient jamais », roman consacré par le prix Marguerite Duras, c’était déjà d’enfance, de famille et de territoire qu’il s’agissait. Pour « Les Rues bleues » , paru en 2020, l’écrivain racontait Paris au cours des trente dernières années avec, déjà, cet intérêt pour le temps qui passe et les détails qui font une époque. « J’aime les autobiographies. Je suis client des écrivains de l’intime. Mais avec le temps je me suis libéré du fardeau de la vérité. » Le plaisir de la lecture de son dernier livre doit beaucoup à cette subjectivité. Pendant son exil à Scy-Chazelles, Julien Thèves a cherché des traces de sa famille aux archives et dans sa mémoire. Il a inventé celles qui manquaient. Le plaisir de la lecture vient aussi de sa plume, musicale à souhait. Julien Thèves parle comme il écrit, en respectant les silences, en choisissant chaque mot. Il est érudit, sa belle langue le trahit. Mais de ses brillantes études l’écrivain dit peu de choses. On repère au fil des réponses aux questions quelques balises, « une prépa Henri-IV et un cursus HEC ». Pour le reste, ce qu’il dit de lui a toujours quelque chose à voir avec l’écriture : « J’ai commencé à écrire par désœuvrement », « un jour j’ai rencontré l’écrivain Guillaume Dustan qui m’a permis d’écrire et de publier chez Balland » ou encore « j’écris pour Le Monde ». Avec « Ils étaient de l’Est », la jolie plume est au service d’un sujet universel, l’enfance. Que l’on soit natif de la région ou d’ailleurs, chacun se reconnaîtra dans ces souvenirs de gamins en Lorraine. Chacun se reconnaîtra aussi dans cette envie adulte de ramener à la surface des morceaux d’histoire personnelle que l’imagination assemble.
▶ « Ils étaient de L’Est », Julien Thèves, édition Abstractions.