Aux côtés d’Anthony Borré (à droite) et Solange Véran (en arrière-plan), six des papys et mamys trafic niçois, dont Christiane (deuxième en partant de la gauche), violemment agressée le 2 juillet.
Photo Ch. R..

« C’est une famille. » Anthony Borré, premier adjoint au maire délégué à la Sécurité, résume ainsi le groupe des 228 papys et mamys trafic qui ont fait leur rentrée scolaire la semaine dernière.

À l’instar des enfants qu’ils protègent, lors des entrées et sorties des 154 écoles niçoises, notamment aux carrefours dépourvus de feux tricolores. Avec leur gilet citron fluo et leur panneau stop rouge et blanc.

Ils font ça parce que ça leur plaît. À la demande de Nice-Matin, une partie de la troupe est venue en mairie expliquer son engagement sans faille.

Papys et mamys trafic toujours aussi motivés, même si une des leurs, Christiane, a payé cher sa présence pour aider à traverser la rue en toute tranquillité.

Elle est là, Christiane. Toute frêle, toute douce, avec son fin visage encadré de courts cheveux argentés.

Le 2 juillet au matin, alors qu’elle assurait la sécurité à Riquier, devant l’école Bischoffsheim devenue centre aéré le temps d’un mercredi, la septuagénaire a été violemment frappée à la tête par un homme de 49 ans.

Christiane a du mal à s’en remettre: « Je n’en reviens toujours pas que les gens puissent agir de la sorte. Je faisais mon travail. Sans raison, cet homme m’a assommée. Je suis tombée par terre, où je suis restée inerte un moment et j’ai même failli me faire écraser par un bus qui arrivait. Avec, en prime, un bridge cassé et un autre déplacé. »

Traumatisme vivace

Depuis, la Ville a pris en charge les frais dentaires de la malheureuse et l’agresseur, qui souffrirait de troubles psychiatriques, a été condamné par le tribunal correctionnel de Nice à 8 mois d’emprisonnement avec sursis probatoire pendant deux ans, avec obligation de se soigner et d’indemniser les parties civiles en versant 2.500 euros de provisions à la victime et 1 euro symbolique à la commune.

Mais le traumatisme est encore vivace. Christiane n’a pas vraiment remonté la pente: « J’ai peur, je suis suivie par un psychologue et je ne veux plus être mamy trafic. »

L’élu en charge de la sécurité comprend cette décision: « On réfléchit pour lui proposer quelque chose d’autre. »

Tant pis pour les écoliers qu’elle aime tant et les discussions qu’elle avait avec eux et leurs parents. C’est que Christiane a subi d’autres épreuves marquantes: « Je sors d’un cancer et j’ai perdu mon fils… »

Une activité qui crée du lien social

Ils étaient 128 en 2008. Sont 228 aujourd’hui. Postés aux carrefours, devant les passages protégés bordant les 154 établissements scolaires de la ville, deux fois par jour.

Le matin, de 8h à 8h45 pour la rentrée, et l’après-midi, de 16h15 à 17h, au moment de la sortie.

Ceux qui le souhaitent peuvent également faire du rab le mercredi devant les centres aérés. Totalement intégrés à la police municipale et directement chapeautés par Solange Véran, policière municipale et cheffe des papys et mamys trafic depuis huit ans.

Soit un coût d’1,5 million d’euros pour la Ville.

Proximité salutaire

Là pour sécuriser les abords des écoles, ces aînés bienveillants. Mais pas que. Ils témoignent.

Franck est papy trafic devenu surveillant de quinze autres agents de sécurité scolaire à Pasteur: « Je passe les voir régulièrement pour vérifier les présences et les absences, faire remonter les éventuels problèmes. Je suis retraité. C’est la condition pour être papy trafic. J’ai travaillé quarante ans à la SNCF. J’ai voulu occuper cette fonction, car j’aime les enfants, le contact. Papy trafic permet de créer du lien social. »

Jacques aussi est passé de papy trafic à l’école Rothschild au statut de surveillant du centre-ville. Venu dans ce cercle « après sa retraite de la mairie, pour contrer l’ennui, partager une proximité ».

Complément non négligeable

Daniel, lui, surveille les véhicules et les piétons devant l’école Jules-Ferry: « Mon épouse travaillait dans la petite enfance et j’ai voulu continuer dans cette voie. En plus, il y a un complément non négligeable puisqu’on touche environ 3.000 euros à l’année. J’ai candidaté après avoir vu passer un appel dans Nice-Matin, il y a 15 ans. »

À Nice-Nord, Georges reste devant l’école Saint-Thomas d’Aquin: « J’étais boulanger. Cela fait quinze ans que je suis papy trafic. Après la mort de ma compagne, j’étais seul, je m’ennuyais… »

Angela est un pilier de Saint-Lambert: « Je fais ça depuis 2019 et mon mari, depuis vingt ans! J’ai été assistante maternelle durant trente ans et j’ai lâché la crèche pour l’école maternelle. »

Faire avec les incivilités

Toujours motivés malgré ce qui est arrivé à Christiane? Oui. « Ce que Christiane a subi est terrible, mais exceptionnel, et ne remet pas en cause notre engagement, plaide l’un d’eux. La police municipale est également présente pour nous encadrer et les caméras nous rassurent aussi. »

Bien sûr, les incivilités existent: « On se fait souvent insulter par certains automobilistes méchants et vulgaires, admet Angela. Mais en contrepartie, on reçoit tellement de bonheur quand on retrouve les enfants et leurs parents. Moi, j’ai vu défiler trois générations d’écoliers et ça crée des liens. Les parents nous disent que nous sommes des anges gardiens… »

Les irrespectueux du Code de la route, les inconscients circulant à trois à fond la caisse sur une moto, ceux qui cabrent juste devant les agents de sécurité malgré le stop, les malades de l’accélérateur qui se sentent plus virils en accélérant, il y en a.

Daniel n’en a cure: « Moi je me mets au milieu de la chaussée et je les attends! »