La vague de chaleur exceptionnelle qui a frappé la Gironde cet été laisse derrière elle des producteurs inquiets pour leur avenir. Les maraîchers du département ont subi de plein fouet les conséquences d’un climat devenu difficilement prévisible.

«Les tomates qu’on devait récolter cet été… Aujourd’hui, on ne les a pas !», déplore Yoann Jourdin, installé depuis 2021 à Lanton, en Gironde. Habitué à des étés secs, mais rarement aussi extrêmes, il confie au Figaro avoir subi des pertes inédites : «On a eu une grosse baisse des rendements, un énorme trou dans la production. On a perdu environ une tonne de tomates et toutes les salades estivales… Au total, 1500 pieds n’ont jamais été récoltés. Les jeunes plants ont trop souffert de la chaleur  et du choc thermique. C’est un vrai coup dur pour notre exploitation.»

Un constat largement partagé par ses confrères du département de la Gironde, qui comptait environ 260 exploitations spécialisées en maraîchage en 2020. À Saint-Morillon, près de Bordeaux, Thomas Waldhäusl, qui vit sa première année dans le secteur, a également affronté un été éprouvant. «On a découvert ce métier et… la canicule ! C’était sportif. La gestion de l’irrigation a été très compliquée depuis juin. On a vu une vraie baisse de rendement sur les tomates, les aubergines, les poivrons… Au-delà d’une certaine température, la mise à fruit est complètement réduite.»


Passer la publicité

Blanchiment des serres, ombrières, irrigation renforcée… Les maraîchers ont pourtant tout tenté pour limiter la casse. «La chaleur a aussi fait proliférer les acariens, qui adorent ces conditions et envahissent concombres et haricots verts. Heureusement, certaines cultures comme les aubergines et les poivrons ont mieux résisté», nuance Yoann Jourdin. De son côté, Thomas Waldhäusl réfléchit déjà à l’avenir : «On envisage de créer davantage de zones d’ombre, de mettre en place des systèmes d’ombrage, et surtout de chercher des variétés plus résistantes aux fortes chaleurs. On verra l’été prochain. Heureusement, la diversité de nos cultures compense en partie les pertes.» 

La solidarité entre agriculteurs girondins a joué un rôle important cet été. Thomas Waldhäusl explique faire partie d’un groupe WhatsApp d’entraide entre maraîchers. Les échanges, souvent accompagnés de photos, témoignaient des mêmes difficultés rencontrées par chacun d’entre eux lors des épisodes de chaleur.

Des photos partagées par les maraîchers girondins.
Thomas Waldhäusl (collection personnelle)

Installé depuis 2020 sur trois hameaux de Jovignac et Loirac, à une heure et demie de route de Bordeaux, Pierre Bertheau s’est lancé dans le maraîchage intensif sur petite surface. Lui a choisi l’agroforesterie pour anticiper les épisodes climatiques extrêmes. «Dès la première année, j’ai planté environ 150 arbres. Ils apportent de l’ombre, servent de remparts au vent, maintiennent l’humidité dans l’air et créent de véritables microclimats. Cela nous permet d’installer nos planches de culture sous les arbres», explique-t-il. Mais même avec ces aménagements, les limites se font sentir. «Passé les 35 °C, les légumes bloquent leur métabolisme. Ils se mettent en mode survie.» Face à ces conditions, son organisation quotidienne a été bouleversée : «J’ai souvent travaillé de 6 heures à 13 heures pour profiter de la fraîcheur et être le plus efficace sur ces horaires. L’après-midi, avec 38 ou 39 °C, ce n’était plus possible.»

Entre sécheresses et vagues de chaleur… les aléas s’accumulent. «Il faut s’adapter, trouver des solutions. Mais il y a des limites. Si, dans dix ans, on se retrouve comme en Andalousie, il faudra envisager d’autres cultures dans le Sud, on sera obligé de faire autre chose», prévient-il.

Les assureurs ne couvrent pas nos cultures. En tant que petit maraîcher, nous ne sommes pas protégés

Yoann Jourdin, maraîcher à Lanton

Et pour certains, les pertes financières sont lourdes. Chez Yoann Jourdin, l’été avait déjà commencé par une tempête qui avait détruit une partie de son exploitation. «Ma serre était à moitié détruite. Plus de 2000 m² de production se sont envolés. Avec la canicule derrière, le total des pertes atteint 15.000 euros. Les assureurs ne couvrent pas nos cultures. En tant que petit maraîcher, nous ne sommes pas protégés.» Le Girondin a été contraint de mettre en place une cagnotte en ligne pour compenser les pertes.


Passer la publicité

Inquiétude, résilience, adaptation : tous reconnaissent aujourd’hui l’incertitude qui plane sur leur métier. «Les sécheresses sont un problème, mais les vents violents aussi. Il va forcément y avoir des risques de tempêtes dans les mois à venir. On espère toujours limiter les impacts, mais parfois il faut avouer qu’on est assez impuissants. Cela demande toujours beaucoup de réflexion… et un peu d’angoisse. Ce qui est sûr, c’est qu’aucune saison ne ressemble à une autre», conclut Pierre Bertheau.