En amont du vote de confiance et de la probable chute du gouvernement de François Bayrou, le politologue Benjamin Morel décrypte la situation dans « La Matinale », lundi 8 septembre, estimant que le Premier ministre avait d’autres cartes à jouer plutôt que de mettre sa place en jeu.

En milieu d’après-midi, François Bayrou va monter à la tribune de l’Assemblée nationale pour tenter de convaincre une dernière fois les députés, avant le vote de confiance dont les résultats laissent peu de place au doute. Pour en parler, Benjamin Morel, politologue et maître de conférences à l’Université Paris 2, analyse cette séquence politique et ses enjeux, dans « La Matinale » du lundi 8 septembre.

Ce texte correspond à une partie de la retranscription de l’interview ci-dessus. Cliquez sur la vidéo pour la regarder en intégralité.

Jean-Baptiste Marteau : C’est donc le jour J pour François Bayrou. Une chute annoncée par tous les titres de la presse ce matin. D’ailleurs, vous étiez assez sceptique, dès le début, sur ce choix de François Bayrou, qui est assez inédit dans la Ve République. Aucun Premier ministre avant n’avait fait le choix de cet article de la Constitution, quand on sait qu’il n’a aucune chance, ou presque, de le gagner…

Benjamin Morel : Exactement. C’est-à-dire que lorsque vous utilisez le 49 alinéa premier, c’est que vous savez que vous aurez une majorité des députés. Pour deux raisons. D’abord, arithmétiquement, ce n’est pas comme une motion de censure, c’est-à-dire qu’il vous faut une majorité simple [des suffrages exprimés]. Il faut tout bêtement qu’il y ait plus de députés qui votent pour vous que de députés contre vous. Alors qu’avec une motion de censure, c’est une majorité absolue [des membres composant l’Assemblée].

Ça, le décompte, il le savait, François Bayrou, que sur le papier, il n’y avait quasiment aucune chance d’avoir la majorité…

Sauf à s’illusionner sur une position du Rassemblement national qui, s’il s’abstenait, pourrait sauver François Bayrou. Mais Marine Le Pen, depuis le mois d’avril, est quand même relativement claire quant à sa stratégie, qui est plutôt de pousser à la dissolution. Ce n’était donc pas extrêmement étonnant, d’ailleurs, c’est arrivé dans les dix premières minutes. Sinon, il fallait que les socialistes votent pour, autrement dit qu’ils disent : « Regardez, François Bayrou, on vous fait confiance et on est dans la majorité », ce qui évidemment n’était pas négociable.

Effectivement, si les socialistes avaient pu être convaincus, si on avait négocié vraiment avec eux, peut-être qu’ils auraient au moins voté cet après-midi. Mais même dans cette tournée d’adieu, François Bayrou n’a quasiment rien lâché aux socialistes. Il n’a pas vraiment négocié avec eux…

Il n’a rien lâché parce que, fondamentalement, aujourd’hui, il est dans : « Comment est-ce que je soigne ma sortie, comment est-ce que je suis droit dans mes bottes et je témoigne pour l’histoire et pour l’opinion publique ? », avec soit des ambitions pour 2027, soit au moins pour les livres d’histoire. Sinon, il y aurait eu en effet des négociations claires en amont, ou au moins en aval, parce que fondamentalement, ce 49 alinéa premier, c’est une erreur politique majeure.

Pour vous, c’est une erreur politique ?

Oui, parce qu’il va tomber. Ça, ça paraît à peu près évident et on verra si je suis contredit ce soir, mais je ne pense pas. En revanche, il y avait des marges de négociation. Il y avait des marges, c’est-à-dire qu’il y avait clairement chez les socialistes une double crainte, crainte de la dissolution, et crainte d’une forme de défaite aux municipales. Pour ça, ils avaient besoin de quelques éléments très forts qui leur permettaient de dire « regardez, on a pu influencer ce budget ».

Comme la taxation des très hauts revenus ou ce genre de choses ?

Ou même les fameux jours fériés. Si vous lâchiez au Parti socialiste les jours fériés, le PS pouvait dire « on a sauvé les Français de deux jours fériés », ça pouvait éventuellement faire bouger la donne. Donc, il fallait voir ce qui pouvait être négocié pour faire passer le budget. Et à ce moment-là, il y avait une possibilité qu’il ne tombe pas. Et quand bien même, il pouvait tomber en appliquant son budget par ordonnance à la fin de l’année, ce qui lui permettait de donner un budget à la France. Le fait de partir si tôt sans aucun bilan est un vrai problème pour lui.

J’ai l’impression que depuis un an, effectivement, depuis cette dissolution ratée d’Emmanuel Macron, on semble redécouvrir le fonctionnement parlementaire d’une démocratie un peu classique en Europe, où il n’y a pas de majorité absolue et où l’on doit donc négocier avec les oppositions, faire des compromis. Là, on ne l’a toujours pas fait. Michel Barnier ne l’avait pas vraiment fait, François Bayrou ne l’a pas fait non plus.

On ne l’a toujours pas fait pour des raisons conjoncturelles et des raisons structurelles. D’un point de vue conjoncturel, si vous voulez, vous avez trois blocs politiques assez étanches. Donc il est très difficile pour ces blocs de faire des alliances. Vous mettez le même hémicycle en Allemagne, en Italie, ce n’est pas plus gérable. Cette tripolarisation est quand même très compliquée à mettre en place. Ensuite, vous avez des éléments structurels, le mode de scrutin par exemple, qui rend très difficile la formation d’alliances post-électorales en France, là où la proportionnelle le facilite. De l’autre côté, vous avez l’approche des municipales et de la présidentielle, qui fait qu’aujourd’hui, personne n’a intérêt fondamentalement à assumer le bilan du gouvernement sortant. Tout le monde a intérêt à s’en distinguer, y compris d’ailleurs au sein du socle commun, ce qui n’entraîne pas sa stabilité.

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