En juillet dernier, la réalisatrice du film, la directrice de l’institution et quelques anciens élèves ont présenté le documentaire au Théâtre de la Concorde, à Paris. Retour sur une journée de festivités motivées par les liens entre art et social.
Extrait de « La Casa », un documentaire de Caroline Benarrosh. The Jokers Films
Publié le 06 septembre 2025 à 10h30
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«Moi, je fais les choses en grand. » Installée sur un banc du jardin des Champs-Élysées, couvre-chef perlé vissé sur le front, Nadine Gonzalez se pose enfin. Elle a passé une bonne partie de ce vendredi 4 juillet à papillonner dans l’enceinte du Théâtre de la Concorde-Espace Cardin, de retrouvailles en tables rondes pour l’Expo Favela Innovation Paris — un « accélérateur d’égalité » croyant « en la puissance créative des quartiers populaires », précise la brochure de l’événement. Elle est venue à la fois présenter le documentaire La Casa (sorti en salles le 3 septembre), signé Caroline Benarrosh dont elle est l’une des protagonistes, et célébrer son pays d’adoption, le Brésil.
En 2005, l’entourage de cette ancienne journaliste mode lui offre un séjour de dix jours au pays du carnaval ; elle n’en revient que dix ans plus tard. Une décennie qui a vu naître une vocation sociale exercée dans une précarité totale. Avec les femmes, d’abord, ces mères, prostituées ou prisonnières issues de favelas pas encore pacifiées — le président Lula s’y attellera à partir de 2010 — et qu’il s’agit de « promouvoir et d’insérer sur le marché du travail ». Avec les jeunes, ensuite, au travers d’un projet de formation gratuite, à la marge et pour la marge. Les bling- bling du monde de la mode résonnent pourtant à des années-lumière des bidonvilles où elle s’implante. « J’ai fait tous les métiers de la mode, se souvient Nadine Gonzalez, mais je ne trouvais pas ma place. Il fallait que je réinvente la mode de façon plus humaine. Le vêtement, c’est une seconde peau. Il y a un regard assez anthropologique à poser dessus. »
La réparation s’applique aussi à ces jeunes : eux aussi sont upcyclés
Nadine Gonzalez, protagoniste de « La Casa »
Ce sont les débuts de la Casa Geração, dont le pendant français, la Casa 93, prendra ses quartiers quelques années plus tard à Saint-Ouen, puis à Montreuil, en Seine-Saint-Denis. Le fonctionnement des établissements cousins repose sur le même principe de l’upcycling (le recyclage à valeur ajoutée). « Plus il y a de contraintes, plus il y a de créativité, résume l’ex-directrice. Avec un rien, on peut tout faire. Mais le principe de la réparation s’applique également à ces jeunes : eux aussi sont upcyclés. » Et ça fonctionne. La preuve avec le parcours des anciens élèves présents autour de la table ronde organisée juste après la projection du documentaire. Rafaela Pinah, issue de la toute première promotion brésilienne, est devenue directrice artistique de Coolhunter Favela (un « laboratoire de recherche ethnographique ») et instigatrice de sa propre Casa à Rio (la Casa Tok) : elle a traversé l’Atlantique pour venir témoigner de ce qu’elle doit à cette expérience. Quant au jeune Lobaï, protagoniste du film, il s’est lancé au sortir de la Casa dans le projet d’une marque de vêtements avec 50 euros en poche.
Pour Nadine Gonzalez, « le véritable défi [de la Casa Geração] était de faire venir les marques et les leaders d’opinion dans les favelas. C’est bien que les jeunes défavorisés aient leurs entrées dans les beaux quartiers. Mais je voulais que ça se fasse dans l’autre sens : que les autres viennent à eux. » Une philosophie qui paye : bientôt, la Fashion Week accepte de faire défiler les créations des différentes promotions et les marques d’employer quelques « happy few ».
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“La Casa”, de Caroline Benarrosh : notre critique
Le projet a tapé dans l’œil des cinéastes. Après Florie Martin et son Seine-Saint-Denis Style (2019), Caroline Benarrosh, documentariste reconnue (Tu deviendras hétéro, mon fils, 2020), s’est à son tour penchée sur le sujet : « C’était à un moment où mes filles se cherchaient. Elles ne savaient plus qui elles étaient, ne savaient pas où aller, si elles allaient suivre un chemin déjà établi ou inventer le leur. J’avais envie de documenter ce moment-là. En tombant sur des articles de presse que j’avais enregistrés sur mon ordinateur, je me suis dit que s’il y avait un lieu qui incarnait vraiment bien ce moment précaire de la vie, c’était la Casa. Je n’ai pas filmé mes enfants, mais j’ai filmé ces jeunes-là. »
Durant les quelques semaines de tournage de ce film a très petit budget, la réalisatrice est confrontée à une dure réalité. « Je savais que c’étaient des profils de gamins en rupture scolaire et / ou familiale », confie-t-elle. Mais elle ne s’attendait pas à tomber sur Émilie, forcée de se laver à la bassine, ou sur Mathis, contraint de dormir dans sa voiture. Ni sur Le Grain. e, une personnalité non-binaire haute en couleur, mais qui, avant de passer par la case « Casa », était incapable de prendre la parole en public. Celui qui préfère qu’on le genre au masculin s’est produit sur la scène du Théâtre de la Concorde, dans une performance mêlant musique techno et danses populaires brésiliennes. Quelques minutes plus tard, il cherche encore à rattraper son souffle quand il nous raconte, avec le sourire, les années de galère, les dealers squattant son immeuble, les antidépresseurs, le pointage à l’usine de tri et, enfin, la rencontre avec Nadine, le stage chez Nike à Amsterdam et sa nouvelle philosophie de vie : « Go with the flow » (« avance avec le courant »).
Une nouvelle structure en Afrique
« C’est un film militant, soutient Caroline Benarrosh. Parce que la Casa a été obligée de fermer ses portes. » Le temple de la mode à portée de main et du système D a effectivement dû cesser ses activités fin 2024, faute d’apports financiers à l’association ModaFusion qui la gérait. « Où vont aller les jeunes comme Lobaï et Le Grain. e ? », se désole la réalisatrice. Il semble que la dernière promotion n’ait même pas pu finir l’année.
Nadine Gonzalez, elle, a l’air d’avoir fait son deuil. En réalité, elle est déjà tournée vers un nouvel horizon : le berceau du monde, le continent africain. L’une de ses connaissances, Sidonie Laterie, lui a demandé de l’aider à monter une nouvelle structure à Kinshasa, capitale de la République démocratique du Congo. L’idée est d’explorer les possibles de la sapologie, philosophie autant que « récit et langage » des milieux populaires, qu’il s’agit de « structurer pour que les créateurs existent au-delà de l’Afrique et vivent de leurs œuvres », précise l’entrepreneuse congolaise venue présenter son projet.
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Au sortir de cette journée riche en échanges et en performances, le mot de la fin revient à Nadine Gonzalez, motivée par une bougeotte intarissable et l’envie de « commencer là où il y a tout à faire » : « La Casa n’est pas faite pour être pérenne. Elle est faite pour bousculer l’écosystème. Je laisse ma place : aux jeunes de prendre la relève. » Reste donc le film de Caroline Benarrosh, preuve que ce lieu utopique aura existé.
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r La Casa, documentaire de Caroline Benarrosh (France, 1h25). En salles.