Dans toute l’Alsace, des groupes s’organisent dans le cadre du mouvement Bloquons tout prévu à partir du 10 septembre. Primo-militants, chômeurs, ouvriers, engagés à gauche… Les participants ont des profils divers et partagent la volonté de changer le système en profondeur.

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Thibault Vetter

Publié le 8 septembre 2025  ·  

Imprimé le 8 septembre 2025 à 12h15  ·  

Modifié le 8 septembre 2025  ·  

6 minutes

« Je n’en peux plus de ces politiciens qui nous demandent de serrer la ceinture alors qu’on n’a déjà plus rien », commence Laura. Habitante d’un petit village d’Alsace Bossue, elle est au chômage depuis début 2025. Avec son compagnon, la jeune femme de 32 ans renonce aux sorties au cinéma ou à Strasbourg. Elle demande de l’aide à ses parents et restreint ses achats alimentaires : « On se limite à 75 euros de courses par semaine. On choisit entre les légumes ou les yaourts. On cherche toutes les promos possibles et imaginables. C’est lourd au quotidien. »

« On a juste envie que ça pète »

Heurtée par l’impression qu’elle n’allait « jamais s’en sortir », Laura a développé une anxiété quotidienne, puis une petite dépression. Des émotions qui se sont transformées en colère. « Beaucoup de choses me scandalisent autour de moi. Je vois les écoles qui ferment les unes après les autres. Les enfants qui habitent dans mon village doivent faire 20 minutes pour aller jusqu’à leur établissement maintenant. Au bout d’un moment, on a juste envie que ça pète », lance t-elle. C’est naturellement qu’elle s’est intéressée au mouvement Bloquons tout, dont la première journée de mobilisation aura lieu le 10 septembre. « Je suis allée à des réunions de comités locaux à Woerth et Meisenthal. Il y avait une vingtaine de personnes », expose t-elle :

« Bloquer la production, les routes… Ça peut nous permettre de bâtir un vrai rapport de force. Et ça nous aidera à nous retrouver, à créer des solidarités avec des cantines populaires et des garderies. J’ai vu naitre un sentiment d’espoir. »

Laura participera au mouvement Bloquons tout, avec l’intention de « changer le système ».Photo : Thibault Vetter / Rue89 Strasbourg

Désir de justice fiscale

Diplômée en Histoire et originaire de Schweighouse, Laura ne parvient pas à trouver du travail dans son secteur géographique. « J’élargis de plus en plus mes recherches. Mais peut-être que je vais devoir aller très loin. Je ne sais pas comment je vais faire », regrette la trentenaire. Elle qui avait déjà manifesté contre la réforme des retraites en 2023 se dit fatiguée par les discours publics culpabilisants contre les salariés précaires ou les chômeurs « alors qu’il y a des centaines de milliards d’euros de cadeaux fiscaux aux entreprises et aux milliardaires ». Comme beaucoup de participants au mouvement Bloquons tout, elle espère que la mobilisation fera tomber François Bayrou, Emmanuel Macron, et même que « le système changera fondamentalement » :

« Ça fait des années qu’on est sous pression et qu’on doit lutter contre des politiques antisociales. J’en ai marre de me battre contre des reculs de nos droits. Et je suis loin d’être la seule. On ne va pas se contenter de mesurettes. Je veux tout changer, demander la retraite à 60 ans, la semaine de 28 heures et de 4 jours, une sécurité sociale de l’alimentation, de l’argent pour l’école, les hôpitaux. Et il faut en finir avec la Vème République, qui est très verticale et donne trop de pouvoir à l’exécutif. »

Dans le nord de l’Alsace comme dans le reste de la région, des blocages de routes et des occupations de ronds points s’organisent pour le 10 septembre. Les comités vont tenter d’inscrire les actions de blocage dans la durée, avec également l’objectif d’attirer plus de monde dans le mouvement. « Les gens ne doivent pas céder à la résignation, anticipe Laura. Peut-être que ça peut fonctionner. Si on n’essaye pas, on est sûrs que ça ne changera pas. Moi je n’ai rien à perdre.. »

Des primo-militants

Laura se considère de gauche depuis qu’elle est au lycée. C’est loin d’être le cas de tous les participants aux comités locaux. Antoine est devenu dépanneur informatique indépendant au moment du covid après avoir eu divers emplois d’ouvrier. « Je n’ai jamais vu de changements réels après des élections. Je n’y crois plus. Ce n’est pas ça qui va améliorer les choses », estime l’homme de 63 ans, habitant d’Ingwiller. Il a toujours eu des salaires modestes mais suffisants pour la vie qu’il choisit de mener, « tranquille, à la campagne, avec peu de consommation ».

À 63 ans, Antoine s’engage pour la première fois dans une mobilisation.Photo : Document remis

En s’investissant au comité local de Meisenthal, c’est la première fois qu’il participe à une mobilisation sociale : « J’ai toujours eu assez peur d’aller en manif. Je n’ai pas du tout envie de me battre ou de me faire taper sur la gueule par des policiers. Je regardais tout ça de loin. » Mais à force de discuter avec l’un de ses fils, engagé sur l’écologie, ce père de cinq enfants « âgés de 3 à 31 ans » a de plus en plus ressenti la nécessité de s’engager :

« Quel est leur avenir ? Je suis particulièrement touché par la question climatique, la dégradation des hôpitaux et de l’Éducation nationale. J’ai un enfant en maternelle et un en primaire. Tout le monde sait que ça ne va pas, mais l’inaction politique continue. Aujourd’hui, je ne vois plus d’autre issue que de changer de système. »

D’abord tourné contre les mesures austéritaires du projet de budget du gouvernement Bayrou, le mouvement Bloquons tout porte de plus en plus de revendications révolutionnaires. Antoine rêve d’une « démocratie plus horizontale, avec davantage de pouvoir local, pour les maires peut-être, et un autre rapport au travail » : « Je pense qu’il faut privilégier la qualité de vie, les emplois de proximité… » Il se sent à l’aise à l’idée d’occuper des ronds points en tractant pour sensibiliser la population sur le mouvement et ses objectifs.

Et des activistes aguerris

L’arrivée de ces nouvelles personnes dans la mobilisation sociale est facilitée par la présence d’activistes plus expérimentés. Dorian, par exemple, se définit comme un militant de gauche. Cet ingénieur de 39 ans a participé à de multiples mouvements, notamment celui pour le Nouveau front populaire en 2024. Habitant des Vosges du Nord, il se rend aux réunions des comités locaux de Bloquons tout à Woerth et Meisenthal. Il soutient les groupes de Saverne et Bischwiller sur les réseaux.

« J’essaye de participer à la structuration du mouvement. Je crée des visuels, des affiches, des tracts, pour que tout le monde puisse les coller ou les distribuer, explique t-il. Même si les gens ne se disent pas de gauche, ils sont d’accord avec les logiques de gauche. Ils sont contre le détricotage du modèle social, et veulent lutter contre ça. »

À l’été 2024, Dorian Faucon, avait milité pour le Nouveau front populaire en Alsace du Nord.Photo : Mathilde Cybulski / Rue89 Strasbourg

À titre personnel, Dorian s’estime « bien loti » en tant que cadre. « Je vois, autour de moi, mes voisins, mes amis, ouvriers, infirmiers, artisans, qui n’en peuvent plus. Ils souffrent au travail et galèrent financièrement… », déplore t-il. Il est donc urgent pour lui de s’engager. Ce mouvement populaire, constitué de profils variés, qui existe aussi à la campagne, est l’occasion parfaite. L’ingénieur assure constater dans le mouvement Bloquons tout un « enthousiasme fort » chez les participants, et une impression que la mobilisation peut avoir un impact :

« C’est une flamme qui brille dans la nuit. Des personnes disent “je pensais être seul”. Il y a des liens qui se créent. C’est le plus important pour moi, un peu comme avec les Gilets jaunes, ces moments d’échanges culturels, où on se parle, on essaye de se comprendre, on fait peuple ensemble. On se réapproprie l’espace politique en discutant de comment faire changer les choses. »