Le 1er juillet à 8 heures du matin, le Français Sofiane Sehili avait quitté Cabo da Roca, au Portugal. Ce promontoire sur l’Atlantique, qui marque le point européen continental le plus occidental, était le départ d’une tentative de record cycliste menant aux confins russes, à Vladivostok. En vue, le record de 64 jours et deux heures établi en 2017 par l’Allemand Jonas Deichmann. Et malgré d’innombrables embûches sur la route, le Français était en passe de réussir cette semaine son périple après 17 600 km parcourus à une moyenne de 300 km par jour, en autonomie et sans assistance.

Selon une information du Monde, que nous sommes en mesure de confirmer, Sofiane Sehili est actuellement détenu par les autorités russes. Selon nos confrères et l’agence de presse russe Tass, le motif serait le « passage illégal de la frontière ». Le Français a été arrêté le mardi 2 septembre alors qu’il souhaitait passer la frontière entre la Chine et la Russie dans l’Extrême-Orient sibérien.

La veille, il avait été éconduit au poste-frontière chinois de Sanchakou, malgré son e-visa russe, au prétexte que ce point de passage n’était ouvert qu’aux Chinois et aux Russes – contrairement à ce qui était indiqué sur le site russe dédié. Il se trouvait alors à 170 km de Vladivostok, son point d’arrivée, et ce passage de frontière était l’ultime barrière avant de filer vers le port oriental de la côte Pacifique, terme de son périple.

Dans l’après-midi de lundi, il avait repris la route pour rallier Suifenhe, à environ 70 kilomètres au nord, où il avait passé la nuit, la douane étant fermée à son arrivée dans cette ville-champignon chinoise dédiée à la consommation où se pressent les Russes dans les nombreux centres commerciaux.

Le 2 septembre, Sofiane Sehili avait encore 33 heures pour rallier Vladivostok et battre ainsi le record quand, peu après 8 heures du matin, il se présenta à l’imposant bâtiment balisant la voie routière vers la Russie. « Je suis la principale attraction, le seul étranger, raconte-t-il alors. La police (chinoise) inspecte mon vélo, me regarde et ne me dit rien. Je ne sais pas si je vais pouvoir passer la frontière. » Peu après, dépité, il apprend que le passage lui est refusé : « Échouer si près du but, c’est déchirant. Désormais, j’ai dix mois pour décider si je retente une nouvelle fois ce record… ou s’il restera un échec pour toujours. »

Seul un passage en train, long d’une vingtaine de kilomètres, aurait été autorisé – mais qui aurait rendu son record caduc. « Là, c’est vraiment un no man’s land qu’on ne peut traverser qu’en train, explique sa compagne Fanny Bensussan. On ne peut pas aller « toucher » la frontière d’un côté et « retoucher » la frontière de l’autre. » Le Français avait d’ailleurs raté le seul convoi de la journée, ce mardi-là.

Selon les éléments en possession de L’Equipe, confirmés par sa compagne, le cycliste a ensuite traversé la frontière à travers les bois puis en longeant la voie ferrée transfrontalière et s’est présenté à la douane ferroviaire côté russe, à la petite station forestière de Sosnovaya Pad. C’est là qu’il a été arrêté. Le Français est actuellement détenu à Oussouriïsk, à mi-chemin entre la frontière et Vladivostok. « Il le reconnaît mais il n’a pas pris la mesure de la chose », explique sa compagne, précisant que c’est le consulat français de Moscou qui s’active.

Un spécialiste au palmarès prestigieux

Sofiane Sehili, 44 ans, est un spécialiste de ces courses très longue distance, où il s’est révélé en remportant les épreuves majeures du genre (Silk Road, dans les paysages déserts et grandioses du Kirghizistan ; Atlas Mountain Race au Maroc ; et surtout le Tour Divide, la plus prestigieuse, entre le Canada et la frontière américano-mexicaine). Une référence dans le petit monde méconnu des courses cyclistes très longue distance et en autonomie – renouant en cela avec les épreuves cyclistes originelles.

Ancien étudiant documentaliste, il a délaissé la possibilité d’un contrat pro au magazine culturel Télérama doublé d’une formation en école de journalisme en 2008 – « Mais j’avais d’autres rêves dans ma vie que de m’accrocher à un siège, j’avais envie de voir le monde », nous expliquait-il il y a cinq ans – pour partir voyager en Asie, y découvrir le vélo puis se lancer comme coursier à Paris en 2013. Depuis il enchaînait les kilomètres, les défis et les succès, embrassant les courses comme de challenges sportifs autant que des nourritures intellectuelles à même d’alimenter sa curiosité. Il avait déjà réalisé une traversée intercontinentale en 2017, ralliant Taïwan depuis Paris en trois mois.

Lors de cette tentative estivale, le Français avait traversé 17 pays – et était déjà entré sans encombre en Russie une fois, entre la Géorgie et le Kazakhstan – en devançant largement la marque de l’Allemand Jonas Deichmann. Interrogé sur la route par un journaliste de la revue Bicycle Quarterly, il imaginait ainsi son arrivée en solitaire à Vladivostok : « Juste moi et ma GoPro. Je dirai : « Tiens, j’ai réussi. » Ça suffit. Pas de chichis. Parfois, les meilleurs moments sont ceux qu’on garde pour soi. »