Il se passe quelque chose. Quelque chose d’indicible, d’impalpable, qui est de l’ordre de la sensation. Quelque chose dont la victoire est l’expression ultime, mais qui lui est supérieure. Quelque chose comme une fenêtre qui s’ouvre, comme un vent de fraîcheur qui se lève, comme un parfum de renouveau. Sans doute faut-il raison garder, sans doute convient-il de minimiser la portée de cette victoire signée sur un circuit trop atypique pour être significative, mais quelque chose s’est tout de même produit à Monza. Dans le temple de la vitesse, Red Bull a fait souffler cet esprit libre et rebelle dont elle avait fait sa marque de fabrique et qui avait fini par disparaître. Trop d’arrogance avait fini par avoir raison de la sympathie qu’elle inspirait jadis, avant qu’elle ne perde sa spontanéité originelle. La faute au pragmatisme exacerbé et à l’intransigeance d’un Christian Horner trop drapé dans son orgueil. Le Britannique avait fini par mettre Milton Keynes sous cloche à force de tout vouloir contrôler, à force de s’imposer comme seul maître après dieu. Respirer de nouveau, c’est à quoi aspirait le personnel, et c’est ce que lui permet Laurent Mekies. Pour se rendre compte que les choses ont changé à Milton Keynes, il fallait une victoire symbole du dialogue renoué. Une victoire attestant de l’envie recouvrée après des mois de tension et d’intrigues. Une victoire capable de redonner les ailes à Red Bull.
« En de tels moments, vous pensez aux gens de Milton Keynes, au difficile début de saison qu’il a fallu surmonter, étaient les premiers mots de Laurent Mekies une fois la ligne d’arrivée franchie en vainqueur par Max Verstappen. Quand les choses ne fonctionnent pas comme vous le souhaitez, quand vous manquez de rythme, vous questionnez tout ce qu’il est possible de questionner. Ce qui est impressionnant avec cette écurie, c’est qu’elle garde un esprit toujours ouvert. Elle se remet en cause de manière très constructive. C’est beaucoup de travail et vous n’obtenez pas toujours la récompense que nous avons eue aujourd’hui. Personne n’a baissé les bras à Milton Keynes. C’est vrai, nous sommes à Monza dont le dessin est particulier, mais cela n’empêche pas qu’il faille les créditer pour les progrès accomplis. C’est à eux que revient tout le mérite de cette victoire, et à Max ! »
Si le manager français tient à s’effacer, ce n’est pas par souci de modestie, mais pour donner la vedette aux vrais héros d’un week-end qui comptera dans l’histoire de l’écurie : les hommes et femmes de Milton Keynes, et au Néerlandais volant ! Un Max plus léger lui aussi, et libéré. Ce n’est pas tant que Christian Horner, qu’il apprécie sincèrement, avait fini par l’étouffer, c’est que l’ombre pesante du Britannique sur l’écurie avait fini par brider les consciences.
Mekies sans tambour ni trompette
« Au terme des EL3, poursuivait un Mekies admiratif, il est juste de dire que nous voulions revenir en arrière, car il était difficile d’obtenir un bon équilibre avec les réglages faibles appuis que nous avions adoptés. Mais Max a solidement campé sur ses positions et nous a poussés à garder le niveau d’appui. Il nous a encouragés à travailler sur d’autres solutions pour améliorer le grip et trouver un meilleur équilibre. »
Si le quadruple champion du monde s’est autorisé à « camper sur ses positions » comme l’affirme le Français, c’est peut-être parce qu’il se sent davantage écouté. Dans le paddock, alors que la cérémonie du podium battait son plein, Helmut Marko et le directeur technique Pierre Waché n’étaient pas les derniers à parler d’une approche différente du week-end et même d’une philosophie nouvelle. Des avis bientôt partagés par le vainqueur du jour.
« Jusqu’à présent, nous avons eu beaucoup de courses où nous avons joué à gauche et à droite avec les réglages de la voiture, convenait Max. Des changements assez radicaux, ce qui montre que nous n’avions pas le contrôle. Nous ne comprenions pas vraiment ce qu’il fallait faire. Grâce à sa formation d’ingénieur, Laurent pose les bonnes questions aux ingénieurs. Des questions de bon sens, et cela fonctionne très bien. De plus, on essaie de comprendre à partir de ce que l’on a essayé. À un moment donné, certaines choses nous donnent une idée de la direction à prendre, et c’est sur cela que nous avons continué à travailler. J’ai vraiment senti qu’à Zandvoort nous avions déjà fait un pas dans une direction qui semblait plutôt bien fonctionner, puis ici un autre pas qui semble encore un peu mieux. » Si le Néerlandais plébiscite le nouveau patron de Milton Keynes pour les directions qu’il est en mesure de donner, l’intéressé temporise à l’inverse sa contribution.
« La réponse est vite faite : zéro ! Ce n’est pas de la fausse modestie, c’est la juste réalité, affirmait le Français alors qu’il était interrogé sur son apport à l’écurie et à la performance. Il y a des centaines de personnes qui travaillent pour rendre cette voiture plus rapide. C’est l’addition de tous ces talents qui fait que la voiture est meilleure aujourd’hui. Ce sont eux qui rendent possible les options de réglages. Ma contribution est nulle à ce niveau. Mon rôle est de faire en sorte que les talents que nous avons puissent s’exprimer de la meilleure façon. » Visiblement, ça marche, même s’il est encore bien trop tôt pour parler de retournement de situation par rapport à la première partie de saison.
Max retrouve le rythme
« Je pense que ça dépend encore un peu de la piste, soulignait le quadruple champion du monde à propos des progrès constatés. Ici, on roule avec peu d’appui. On a toujours l’impression que notre voiture est un peu plus compétitive avec peu ou moyennement d’appui. Donc, ce n’est pas comme si l’on était de retour soudainement. On ne peut pas se battre comme cela tous les week-ends, je pense. Mais le point positif, c’est que l’on semble comprendre un peu mieux ce qu’il faut faire avec la voiture pour être plus compétitifs. J’espère donc que cela se poursuivra lors des prochaines manches, et que certains circuits seront un peu meilleurs que d’autres. »
Du côté de McLaren, si l’on ne sait pas pourquoi la Red Bull s’est montrée à ce point dominatrice sur le tracé milanais, on sait par contre ce qu’il a manqué à la MCL39. « Il y a plusieurs raisons techniques pourquoi ici nous ne pouvons pas répéter le même niveau de compétitivité que nous avions à Zandvoort et en Hongrie, expliquait dès samedi soir le team principal Andrea Stella. La voiture est très compétitive dans les virages. On le voit encore ici où nous sommes les plus rapides, sauf que les virages ont une courte durée et ne sont que six. Nous gagnons un petit peu dans les virages, mais perdons dans les lignes droites. D’une manière générale, et en fonction de la façon dont la voiture a été conçue, elle atteint son meilleur niveau de compétitivité avec plus d’aileron arrière. C’est comme l’an passé, quand nous réduisons les appuis à l’arrière, on perd l’efficacité aéro. Le niveau de grip est aussi très haut cette année. Rouler à Monza en 1’18’’ comme l’a fait Verstappen en Q3 est impressionnant. Grip très haut, design de piste très différent de Zandvoort, ça explique pourquoi ne nous sommes pas dominants ce week-end. À l’inverse, je ne suis pas surpris par la Red Bull. Quand ils réduisent la traînée, elle est capable de regagner beaucoup d’efficacité mécanique. Avec le niveau d’appui que l’on a ici, Red Bull a la meilleure voiture. » N’éludons pas non plus la question de la flexibilité des ailerons plus encadrée depuis cette saison et dont McLaren était experte l’an passé…
En ce samedi soir, le manager italien espérait encore que les longs relais allaient permettre d’égaliser en course la performance entre sa monoplace maison et celle de Milton Keynes. « Pour les raisons techniques déjà avancées, quand vous allez pour les longs runs en course, vous freinez plus tôt, accélérez plus tard, et la durée du virage s’allonge », expliquait-il en concluant sa démonstration par un « c’est bon pour nous » annonciateur de lendemains qui chantent. Une erreur malheureusement, car après un départ chaotique où il allait devoir céder sa position pour avoir court-circuité la Variante del Rettifilo (première chicane), Max Verstappen allait imposer son rythme.
Marko croit à la résurrection
« Une fois revenu en tête après avoir passé Lando au 4e tour, j’ai juste essayé de me concentrer sur mon propre rythme, expliquait encore le vainqueur. Ce n’est que sur les 6 à 8 derniers tours de ce relais que j’ai commencé à avoir un peu de mal avec les pneus Médiums. La voiture faisait un peu mieux que ce que ce à quoi je m’attendais. On dirait que ce week-end a été une nouvelle avancée en termes de comportement. Ça s’est vu en qualif’, et aussi en course. C’est un point positif pour nous. Ensuite, nous avons adopté une stratégie classique, en pneus Médiums-Durs, alors que les McLaren sont restées en piste pour tenter de profiter d’une possible intervention de la Voiture de Sécurité. C’est pourquoi l’écart est un peu plus grand au final qu’il n’aurait dû l’être. Mais pour nous, ça reste un week-end incroyable. »
Même une « résurrection » dixit Helmut Marko, conseiller sportif de Red Bull, qui saluait la victoire « écrasante » de Verstappen. Cela faisait bien longtemps que nous n’avions plus observé l’Autrichien avec un aussi grand sourire accroché au coin des lèvres. Même à Imola où le Néerlandais avait signé sa précédente victoire, l’éminence grise de feu Dietrich Mateschitz (cofondateur de Red Bull disparu en octobre 2022) n’avait pas montré une telle joie. « Il y a deux courses de cela, en Hongrie, nous étions encore satisfaits d’avoir marqué un point, soufflait-il l’œil pétillant. Ici, nous gagnons avec 20 secondes d’avance. À l’exception du premier virage, Max a été souverain. Il a constamment contrôlé la situation, et nous avons eu seulement peur qu’une éventuelle Voiture de Sécurité ne vienne tout compromettre. C’est pourquoi nous avons un peu retardé son arrêt au stand. Vingt secondes d’avance au passage de la ligne, l’écart parle de lui-même. Il n’y a rien à ajouter. Quelle résurrection ! » Quelle renaissance effectivement, surtout si l’on rappelle que Monza, l’an passé, avait été la pire course de la saison 2024 pour l’écurie de Milton Keynes. « Les circuits rapides devraient nous convenir davantage, et je crois beaucoup à Bakou ! », concluait-il.
Bakou qui, même en cas de nouvelle victoire, aura beaucoup de mal à faire oublier ce week-end dans le temple de la vitesse devenu lieu de renaissance. Sans doute fallait-il un tel week-end pour définitivement fermer le chapitre Horner et ouvrir celui de Mekies (voir QR). Cette victoire, c’est aussi celle d’un style qui s’affirme. Tout en douceur. Sans à-coup, ni accroc. Un style frappé du sceau du bon sens et de l’échange. Un style dynamique capable de créer du lien et de redonner aux fans l’envie de supporter de nouveau l’écurie comme avant la tempête du début de saison 2024 (Horner accusé de comportement inapproprié à l’encontre d’une employée. Ndlr) et les grands tourments.
Red Bull Racing, qui revendique une image fun et débridée, avait fini par avoir celle d’une machine à gagner à tout prix… et par tous les moyens. L’image d’une écurie ayant sacrifié son âme sur l’autel de la confrontation et du chaos. En allant chercher le Français dont le travail à Faenza avait séduit, la paire Oliver Mintzlaff (directeur général de Red Bull GmbH)-Helmut Marko voulait le retour du cosmos. Dimanche soir, ils ont eu encore mieux : le retour à une certaine idée de RBR, apaisée et non plus conflictuelle. Une Dolce Vita perdue depuis longtemps, et désormais retrouvée.