Les 20e rencontres des arts du monde arabe qui débutent ce mardi à Montpellier, seront marquées samedi par un hommage unique au chanteur Rachid Taha avec une fine équipe réunie par son ami, le rockeur et guitariste Rodolphe Burger.
Vendredi, cela fera sept ans que Rachid Taha a pris la fille de l’air, à 59 ans, et bien trop définitivement, d’une crise cardiaque. On ne lui en veut toujours pas mais, tout de même, Rodolphe Burger a raison, « il manque beaucoup, sa liberté, sa parole manque beaucoup ». Compagnon de route et de tournée du manquant à la pelle (du manquant beaucoup donc), le rockeur alsacien est le directeur artistique de l’hommage exceptionnel qu’Arabesques a souhaité lui rendre à l’occasion de sa 20e édition.
« On s’est rencontré dans les années 80 par l’intermédiaire de Bernard Meyet, un Lyonnais, qui a été le manager et le producteur de son groupe Carte de séjour et qui s’est ensuite occupé du label Attitude qui a été le premier à signer mon groupe Kat Onoma », se souvient le chanteur et guitariste. « On a très vite sympathisé… et on a découvert plus tard qu’on avait grandi dans le même village : son père qui bossait dans une usine textile dans les Vosges avait fait venir sa famille, à Sainte-Marie-aux-Mines, en Alsace. Rachid y est resté quelques années. Quand on l’a découvert, ça a renforcé nos liens, il disait que tout venait d’Alsace et d’Algérie, que son couscous préféré était le couscous aux choux, ce genre ! » Il n’empêche, ce n’est pas tant le territoire que la carte (de séjour, du tendre…) qui les a mieux que rapprochées, soudées.
Une amitié soudée à la liberté d’esprit
« On avait un rapport très fraternel, pas seulement à cause de cette histoire d’Alsace…, se souvient avec émotion Rodolphe Burger. Rachid était absolument unique. J’aimais surtout sa liberté. Sa liberté à tous les niveaux. Son intuition fulgurante. Sa capacité à ouvrir de nouvelles portes nouvelles… Il ne supportait aucun cloisonnement, aucune imitation. Il avait une sacrée culture et un vrai point de vue sur le monde, il n’était d’aucune chapelle, d’aucune communauté et il assumait sa position en mec libre, vraiment. » Et de confier que son ami était « un peu à l’étroit en France, où on avait tendance à l’associer au raï, alors que, s’il a fait des choses remarquables avec la tradition orientale, ses goûts le portaient autant vers le rock que l’électro… Les Anglo-Saxons le comprenaient mieux, il me semble. D’ailleurs, Mick Jones disait que si les Clash devaient se reformer un jour, ça serait avec Rachid Taha ! »
Rodolphe Burger l’a maintes fois invité au festival C’est dans la vallée, qu’il organise chaque automne, à Sainte-Marie-aux-Mines, mais n’a finalement enregistré avec lui que tardivement : en 2008, la chanson Arabécédaire. « C’est lui qui m’avait appelé, comme ça lui arrivait à, genre, 4 h du mat’, pour me dire “Habibi, faut que tu chantes un morceau en arabe !” L’idée de départ c’était qu’il me l’apprenne mais ça s’est renversé, car il ne connaissait pas bien l’arabe littéraire, donc on a fait cette chanson à partir des règles de grammaire de l’arabe. Pour une sorte de manifeste sans slogan dont Rachid et moi étions très fiers ! »
Un Couscous Clan lancé comme une blague
C’est d’ailleurs avec cette chanson qu’ils ouvraient leurs concerts communs, car ils ont fini par monter ensemble un projet, d’abord fictif, puis clandestin, et enfin (hors du) commun. Son nom, évidemment, avait été choisi par Rachid Taha : Couscous Clan. « Rachid avait l’art de la blague ! », se marre encore Rodolphe Burger. Il n’empêche, depuis 2013, les concerts de leur blague prenaient peu à peu un tour sérieux, tout en conservant une fragrance d’émeute joyeuse. « Le dernier concert qu’il a donné moins de quinze jours avant de disparaître, c’était à Marseille avec le Couscous Clan. Il m’avait dit sa hâte qu’on entre en studio pour enregistrer notre premier disque. »
Rachid Taha est parti trop tôt. Sans laisser d’adresse, mais des traces. Un album live de Couscous Clan (dont la pochette est un portrait du drôle signé Robert Combas !). Une discographie dont on ne se lasse pas, avec Carte de séjour (Douce France est un chef-d’œuvre de reprise) et sans (ses disques Rachid Taha, Olé Olé, Diwan, Tékitoi ? et Zoom sont recommandés). Et un grand vide, qui mériterait d’être comblé. En attendant qu’un esprit libre de sa trempe se manifeste, on le sera samedi, comblé, à aller saluer Rachid Taha par un fameux dawa !