« Ouais ! Formidable ! » Charly Oleg n’est plus. À 94 ans, le pianiste de « Tournez Manège ! » a eu jusqu’au bout une vie formidable, le mot que « le pianiste aux 5 000 intros » lâchait pour féliciter les candidats qui se chauffaient à son blind test, la première séquence du jeu mythique de TF 1.

Mythique, parce qu’à l’annonce de sa disparition, chez lui au Blanc-Mesnil (Seine-Saint-Denis), ceux qui avaient 10, 15 ou 30 ans dans les années 1980-1990 s’arrêtent d’un coup, plus nostalgiques que tristes, comme émerveillés au souvenir de cette petite musique du bonheur devant la télé de midi du lundi au vendredi. Charly Oleg s’est éteint lundi dans cette commune du 93 où il habitait, nous confirme le maire de la ville.

Toujours tiré à quatre épingles

Il y a des hommes, des sourires, des émissions, des refrains qu’on n’oublie jamais. Des divertissements sans prétention, sans façon, d’une fraîcheur inaltérable, qui se font une place, une petite place à midi sur TF 1 de 1985 à 1993, juste avant « Le Juste Prix » — dont l’arrivée en 1988 le réduit à trente minutes pile — et une grande place dans l’histoire de la télévision. Rarement un jeu a autant aimé les gens, leurs manières de parler à nu, à cru, pour rigoler, tels qu’on est dans la vraie vie. Devant la France d’une époque à quatre chaînes.

Il y avait trois femmes et un homme, quatuor enchanté du manège : Évelyne Leclercq, Fabienne Egal, Simone Garnier, et le pianiste Charly Oleg, toujours tiré à quatre épingles avec des vestes de couleurs sans cesse différentes. Sa fine moustache, son enchantement, lui qui voulait faire gagner les candidats et participer le public à coups de moulinets de bras, entre deux ou trois notes d’un classique sur son orgue Hammond. « Formidable ! Formidable ! » Et admirable, cette vie.

Il naît Charles Olejnieczak, en Moselle. Son père, émigré polonais, a épousé une fille du cru. Un ouvrier dans les aciéries, devenu ramoneur, mais qui jouait déjà du piano. Le fiston aussi a des doigts d’or, et l’oreille absolue. Pas de sidérurgie ou de ramonage sur les toits, une grande carrière l’attend.

Il accompagne Joséphine Baker, Aznavour et même Sinatra

Amoureux de Chopin — Polonais lui aussi —, Charly Oleg décroche, à 16 ans, un premier prix d’excellence au Conservatoire de Metz, et pourrait devenir un soliste classique, mais les finances ne suivent pas les doigts sur le clavier. Il faut travailler et vite. L’adolescent a déjà fait ses classes dans un cabaret parmi les filles de joie, pianiste de claques, de bars et de bals populaires, Gavroche de Moselle. Et plus tard à la fanfare de l’armée, où il tient la grosse caisse mais se fait surtout des contacts parmi des musiciens de haut niveau qui le recommandent.

Mais où est Charly ? Au piano du Macumba, la boîte à la mode. À nous deux Paris. Il accompagne Joséphine Baker, Charles Aznavour, Mireille Mathieu, Enrico Macias, et même Frank Sinatra. La télé l’appelle : en 1965, il connaît son premier triomphe dans « Le jeu de la chance » de Télé-Dimanche.

Il ne quittera plus le petit écran. Une famille, une vraie : une candidate de cette séquence musicale, Zina, devient sa femme. « Elle chantait bien, j’étais ravi de l’accompagner », confiera-t-il au soir de sa vie, toujours aussi amusé, léger, heureux, lui qui, à 80 ans, se produisait au théâtre et jouait avec sa fille Clara, chanteuse de jazz. Musique côté cour et côté jardin.

Il sort un album, « Variations personnelles », en 2007

Le refrain des adieux s’adoucit auprès d’un homme pareil. Qui se fait plaisir en signant enfin, en 2007, un pur album de mélodies au piano, « Variations personnelles. » Un classique pour la fin. Il aimait tout. L’opérette, qu’il a beaucoup pratiquée, le jazz, lui qui swinguait si juste, la chanson.

Et ces questions cons et tellement tendres et marrantes de « Tournez Manège ! » des candidats, qui le faisaient sourire lui aussi : « Tu as le cafard, tu te tournes vers qui ? Ta mère, ta psy, ton chien ? » « Est-ce que la vie est belle pour toi ? » C’était comique toujours, poétique parfois. Les candidats y gagnaient un mari, une femme ou quelques sous. Le fils du ramoneur ne se serait moqué de personne. On ne se moque pas du monde, de l’existence, de ses petits bonheurs.

Retraité très actif depuis une trentaine d’années dans sa maison du Blanc-Mesnil, l’accompagnateur de nos enfances ou jeunesses a très longtemps fait ses gammes et ses fugues en mineur. Pas si mineur. Les groupies du pianiste sont innombrables aujourd’hui. Mais où est Charly ? Dans nos cœurs. Tournez manège.