Sa longue silhouette longiligne (1,91 m) accompagne désormais chaque recrue de l’Olympique de Marseille lorsqu’elle pose le pied à l’aéroport de Marseille Provence. Elle les suit partout, observe, surveille et dirige un protocole où l’incandescence des supporters s’exprime dans un cadre désormais bien rodé.
Dans l’ombre, plus personne ne prête vraiment attention à lui, pas grand-monde ne connaît son curriculum vitae, ni pourquoi il est là. Garde du corps, modèle XXS et taux de masse grasse à 5 % ? Attaché de presse ? Agent ? Triple médaillé sur les Championnats du monde et d’Europe d’athlétisme, double finaliste aux Jeux Olympiques (2004, 2008), Bouabdellah Tahri, dit Bob, travaille désormais dans le foot, un rêve d’enfant.
Responsable de la réathlétisation puis en charge de la performance de l’équipe professionnelle à l’AS Monaco (été 2018 – avril 2020), on avait compris le cheminement. Mais l’ancien spécialiste du 3 000 m steeple (46 ans) avait ensuite réussi le tour de force d’intégrer la cellule de recrutement du FC Metz (2022-2024), le club de sa ville de naissance.
Depuis décembre dernier, il est devenu « player care » à l’Olympique de Marseille, en charge de l’accompagnement des joueurs et de leurs familles dans leur quotidien. Nounou à temps plein ? « Il ne faut surtout pas minimiser ce poste-là, il est fondamental, recadre un agent implanté sur le marché international. Les clubs français l’ont souvent pris par-dessus la jambe. Mais c’est un élément très important du processus d’intégration des joueurs. »
« Il a les codes du vestiaire. Il sait quand il faut parler et quand il faut se taire »
Pierre Dréossi, ancien manager général du FC Metz
« Je ne suis pas surpris, poursuit Pierre Dréossi, l’ancien manager général du FC Metz. Je lui avais déjà demandé de s’en occuper un peu chez nous, car c’est quelqu’un qui a pas mal de réseaux, qui est intelligent, et qui passe bien dans le vestiaire. » Ancien joueur au niveau régional à l’adolescence, Tahri a toujours envisagé son après-carrière dans le monde du foot. « Quand il est arrivé chez nous comme consultant à L’Équipe du soir (en 2017), c’était déjà un moyen pour lui de montrer qu’il pouvait parler d’autre chose que d’athlétisme, raconte Marc Las, directeur de la rédaction de la chaîne L’Équipe. Son envie de percer dans le foot était très forte ».
« Il rêvait d’être manager général d’un club un jour », enchérit Olivier Ménard, le présentateur de l’émission. « Il est venu pour la pige minimale, poursuit Las. Ce n’était pas son enjeu. Au début, il avait des prises de position assez fortes, il nous a vite bluffés, et c’est aussi pour cela que l’on a arrêté à la fin car au fil du temps, quand il a eu l’opportunité de s’impliquer dans le milieu, il est devenu moins percutant. Mais avec lui, tout a toujours été simple. » Une fois sa carrière terminée, en 2017, il est arrivé dans le monde du foot en douceur, en s’occupant dans un premier temps de la préparation individuelle de certains joueurs, comme Nicolas Pépé, en parallèle à des études universitaires (1).
Il a ensuite été recruté par l’AS Monaco grâce à son réseau lorrain (2). Gentil avec tout le monde, parce qu’on ne sait jamais, mais aussi parce que se rendre utile est un trait de caractère profondément marqué chez lui, Bob Tahri rêve en grand. « Il a envie de réussir et il a envie d’aider », souligne Dréossi. À la chaîne L’Équipe comme au FC Metz, c’est lui qui a proposé ses services, quand beaucoup d’autres attendent les sollicitations, par ego ou par principe. « Il était adjoint municipal à Metz, explique Bernard Serin, le président du club lorrain. Son avenir professionnel ne pouvait s’inscrire que localement donc il est venu nous voir pour proposer ses services. On a dit oui. »
« Il est proactif, effectivement, dit Dréossi. Mais il est aussi proactif quand tu lui demandes quelque chose. Il maîtrise les outils informatiques, il cherche, il trouve, c’est une aide importante pour un directeur sportif. » De là à afficher des compétences dans le recrutement ? « Ce n’est pas lui qui décidait, nuance Laszlo Bölöni, l’ancien entraîneur du club, mais il apportait des informations très utiles. »
Inévitablement, Bob Tahri a pu pâtir d’un manque de légitimité aux yeux de certains. « Sans doute que cela n’a pas joué en sa faveur. Mais il avait d’autres atouts, et j’ai adoré travailler avec lui, dit encore Bölöni. Quand on arrivait au bout d’un cycle de matches, je lui donnais la parole dans le vestiaire pour qu’il transmette aux joueurs son expérience d’athlète, comment accélérer dans la dernière ligne droite, comment résister quand cela devient plus dur ». « Parfois, quand il y avait une discussion un peu technique et sensible, certaines personnes avaient tendance à le remettre à sa place mais en général, cela se passait bien », raconte encore André Amitrano, l’ancien entraîneur des gardiens à l’AS Monaco. « Il a les codes du vestiaire, et ça, c’est primordial. Il sait où il faut se mettre, quand il faut parler et quand il faut se taire », dit Dréossi.
« Il ne faut pas avoir une trop grande bouche. Lui, il voulait bouffer tout le monde »
Les compliments abondent. Mais à Monaco ou à Metz, il a aussi été confronté à ses détracteurs, qui lui reprochent parfois un goût acéré pour la lumière. « Il conduit une barque et lui seul sait où il veut la mener, persifle un membre du club monégasque. Chez nous, il voulait tout faire : physique, mental, nutrition. Quand ton activité n’est pas très claire, ce n’est jamais très bon. À la fin, certains joueurs lui reprochaient de pratiquer un double jeu. Il jouait la proximité avec eux mais il cherchait aussi la proximité avec les puissants. Les joueurs sentent ces choses-là, ils ont commencé à se méfier de lui, certains d’entre eux l’ont fait savoir et il s’est fait débarquer du jour au lendemain. Il n’a pas compris. Mais le foot marche comme ça. Il ne faut pas avoir une trop grande bouche. Lui, il voulait bouffer tout le monde. »
D’autres ont ressenti une ambition, certes, mais aucun vice. « J’ai entendu des allusions, quelques critiques. Mais moi (Laszlo Bölöni), il ne m’a jamais dérangé. Au contraire. » « Ce sont des garçons qui ont toujours été mis en vedette, c’est difficile de se retrouver au second plan, poursuit André Amitrano. Mais avec moi, il a toujours été adorable. » « De temps en temps, il cherche à en faire un peu trop, ajoute encore Pierre Dréossi. Mais quand tu n’as pas la direction, il faut savoir rester à sa place. Après, aimer la lumière, ça veut dire quoi ? Tout le monde aime la lumière. Il a envie que son travail soit reconnu, ça oui, mais c’est humain et ce n’est pas le seul, non ? Sauf que lui, il bosse. D’ailleurs, j’ai dû mal à croire qu’à l’OM, il n’en fasse pas un peu plus que ce que vous dites. C’est dans son caractère. »
Le 1er juillet, il a été nommé coordinateur sportif
Dréossi a du flair ou des infos, car depuis le 1er juillet, Bob Tahri – qui n’a pas reçu l’autorisation de s’exprimer dans cet article – a été nommé coordinateur sportif de l’Olympique de Marseille, « à la demande de Medhi ». Medhi Benatia, le vrai patron, qui avait déjà recruté l’ancien athlète en décembre après avoir échangé avec lui « alors qu’ils ne se connaissaient pas », insiste-t-on dans l’environnement marseillais, en réponse aux critiques sur la privatisation supposée du club par Benatia.
C’est en effet Aziz Mady Bogne, l’adjoint de Benatia, qui a soufflé le nom de Tahri à son boss. Dans les faits, l’ancien athlète, dont les nouvelles attributions n’ont pas fait l’objet de communication officielle, s’occupe de tout l’aspect organisationnel autour de l’équipe professionnelle : logistique, sécurité rapprochée des joueurs et du staff, sécurisation des joueurs et de leurs familles. Le périmètre est large, et le tour de manège n’est pas terminé : Bob Tahri a aussi en charge la restructuration de la nutrition des joueurs, et coordonne le département médical et performance du secteur professionnel. Les journées durent vingt-quatre heures. Mais comme il arrive au centre d’entraînement « à 7 heures du matin et en repart à 22 heures », dit-on à l’OM – ce qui, dans son cas, est peut-être possible -, Marseille est servi.