Le drame s’est noué en quelques dixièmes de secondes. Au bord de la Forme 1 des bassins de radoub de Marseille, Laïd Hachemi s’est appuyé contre l’une des rambardes pour examiner une pompe. Le garde-corps a cédé sous son poids. Emporté par son élan, l’ouvrier a chuté 15 mètres plus bas, dans la forme mise à sec. Il était environ 8 h, ce jeudi 7 avril 2016. Le décès de Laïd Hachemi, victime d’un traumatisme crânien majeur, a été constaté par le médecin des marins-pompiers peu avant 9 h du matin.
Près de dix ans plus tard, trois entreprises ont été condamnées pour son homicide involontaire par les juges du tribunal correctionnel ce lundi 8 septembre 2025 : le Grand Port maritime de Marseille (GPMM), Sud Marine Shipyard, amodiataire (c’est-à-dire exploitant) de la forme de radoub, et son sous-traitant Castellano Peintures, qui employait Laïd Hachemi. Âgé de 55 ans au moment de sa mort, cet Algérien a laissé derrière lui une veuve et quatre orphelins.
Des amendes fermes de 30 à 100 000 €
Dans leur délibéré, les magistrats marseillais ont retenu « une faute de négligence » du GPMM, qui aurait dû entretenir ces rambardes situées sur son domaine, mais ont également pointé la responsabilité de l’amodiataire et de l’employeur de l’ouvrier, qui auraient dû établir des plans de prévention des risques exhaustifs et faire remonter le mauvais état des barrières, « visible à l’œil nu », a observé le président Pascal Gand, en rendant la décision.
Le Grand Port maritime de Marseille a été condamné en tant que personne morale à 150 000 € d’amende dont 50 000 € assortis d’un sursis. Sud Marine Shipyard devra s’acquitter d’une amende de 80 000 €, dont 30 000 € avec sursis. Enfin, la société Castellano s’est vue infliger une amende de 60 000 € dont 30 000 € avec sursis.
Une barrière cassée retenue par une corde
Entre 2016 et 2024, l’accident de Laïd Hachemi a fait l’objet d’une longue et technique instruction, au cours de laquelle les entreprises concernées n’ont cessé de se renvoyer la responsabilité de l’accident. Le jour de la chute mortelle de l’ouvrier – un homme décrit comme « expérimenté et compétent » par son patron -, les gendarmes avaient remarqué que la barrière fautive, marquée par des « traces sévères de corrosion et d’oxydation », avait un pied sectionné et maculé d’une poussière ancienne, « laissant penser que ce pied était préalablement cassé et que cette partie pouvait être retenue par un cordage », avait conclu la juge d’instruction.
Le GPMM, dont plusieurs cadres avaient été interrogés, estimaient que les entreprises utilisatrices de la forme de radoub auraient dû l’avertir d’une usure prématurée de certaines barrières. Au jour de l’accident, plus d’une centaine de garde-corps neufs ne demandant qu’à être installés dormaient dans leurs hangars… Ils soupçonnaient au passage qu’un mauvais usage des rambardes (accrochage d’outillage ou d’amarres) de la part des amodiataires avait accéléré l’usure de leur structure qui souffrait déjà d’une faiblesse de conception, d’après un expert.
Un drame similaire évité 11 ans plus tôt
Le dirigeant commun de Sud Marine Shipyard et Peintures Castellano, lui, s’était donc défendu, invoquant qu’il relevait de la charge du port d’entretenir ses infrastructures de sécurité. La justice est restée sourde à tous ces arguments tranchant, donc, pour une responsabilité partagée.
Une dizaine d’années plus tôt, un autre drame similaire avait été évité de justesse. En 2005, un accoreur (ouvrier spécialisé dans l’étayage des navires à sec) avait chuté dans la forme, heureusement remplie d’eau à ce moment-là. L’incident avait entraîné la pose de barrières de sécurité. Ces mêmes barrières qui n’ont pas sauvé Laïd Hachemi.