Dans son bureau donnant sur les jardins de l’hôtel de Brienne (Paris VIIe), Sébastien Lecornu n’a pas défait tous ses cartons, qu’il avait faits au moment de la dissolution, en juin 2024. Cela lui facilitera la tâche alors qu’il va déménager à Matignon, après huit ans de présence sans discontinuer depuis le premier mandat d’Emmanuel Macron – un record ! Jusqu’au bout, à sa table de travail, il a entendu les rumeurs (qui l’ont agacé), essayant d’en faire abstraction et jurant ses grands dieux auprès de ses interlocuteurs qu’il n’en savait rien.
Comme à chaque remaniement, le nom du ministre des Armées a fait partie des favoris pour le fauteuil de Premier ministre. En décembre dernier, à entendre certains, c’était même quasiment fait, Macron s’apprêtait à nommer ce fidèle, issu des rangs des Républicains, fana de l’armée et cultivant sa proximité avec le président au gré des crises internationales.
Las, la suite est connue, François Bayrou le coiffa au poteau, menaçant de retirer les centristes du fragile socle commun s’il n’accédait pas à Matignon. Lecornu eut beau répéter, comme à chaque fois, qu’il n’était « candidat à rien, heureux aux Armées », il connut un sérieux coup de mou, déçu et furieux, une bonne partie de l’hiver.
Cette fois encore, il s’est livré au même numéro. Et si le président vous proposait Matignon, l’interrogeait Le Parisien-Aujourd’hui en France le dimanche 31 août ? « Je ne suis pas candidat, répondait-il, patelin. Je note d’ailleurs que dans l’histoire, à chaque remaniement, les anciens ministres de la Défense, comme Michèle Alliot-Marie et Jean-Yves Le Drian, étaient donnés « premiers ministrables », et ils ne sont jamais allés à Matignon. Cela me va très bien ! »
Ces jours-ci, Sébastien Lecornu est à la tâche, multiplie les « tournées des popotes », tant dans les régiments à travers l’Hexagone que sur les sites d’industrie de l’armement, pour promouvoir l’actualisation de la LPM (Loi de programmation militaire) après la hausse de 6,5 Mds de crédits pour 2026-2027, annoncée par le chef de l’État en juillet.
Ce mardi après-midi, il devait d’ailleurs s’envoler pour Londres (Royaume-Uni), pour deux jours de réunions avec ses homologues du « groupe E5 » (Allemagne, Pologne, Italie, France et Royaume-Uni) sur l’Ukraine. Le dossier prioritaire du président, avec Gaza et la reconnaissance de la Palestine, en matière d’international. Avant que le déplacement soit annulé à cause de la chute du gouvernement Bayrou.
Du PS au RN, les oppositions attendent le nouveau chef de gouvernement de pied ferme
À l’intérieur, ce sont l’habileté et la rondeur du sénateur Lecornu – à 39 ans, l’intéressé confie lui-même avoir « toujours fait plus vieux » –, admirateur du général de Gaulle et féru de l’histoire de la Résistance, qui rassureraient Macron. Ne se flatte-t-il pas d’avoir fait adopter en 2023 une LPM d’ampleur inédite (413 Mds d’euros) à une majorité écrasante, grâce aux dizaines d’heures passées à convaincre les députés et sénateurs de tous bords ? Un signal favorable dans la perspective d’une recherche de majorité (relative) pour voter le prochain budget.
Problème, vu de gauche et notamment du PS, son profil issu du camp présidentiel, et ex LR, ne changerait en rien la donne politique. « Vous ne ferez pas de moi un coresponsable de la nomination d’un macroniste », attaquait avant même la confirmation de sa nomination, le Premier secrétaire du PS Olivier Faure.
La nomination d’un intime de Macron, alors que ce dernier est désormais directement dans la ligne de mire des oppositions, serait même un chiffon rouge. En outre, beaucoup, chez les Marcheurs, reprochent à Lecornu sa « complaisance » avec le RN, lui qui est élu d’un département, l’Eure, où le parti d’extrême droite est puissant.
Fin avril, il a ainsi reçu à dîner à Brienne, en toute discrétion, Marine Le Pen et Jordan Bardella. « Mais je rencontre les responsables de tous les partis », s’est-il défendu quand le « Canard enchaîné » a révélé l’épisode. À l’inverse, certains y virent alors la marque d’un homme promis à Matignon, où il pourrait peut-être s’entendre avec le RN, plus important groupe à l’Assemblée nationale. Mais voilà, après la déroute de François Bayrou, contre lequel les députés lepénistes ont voté à l’unanimité, ces petits calculs ne sont peut-être plus d’actualité…