La similitude est aussi frappante que paradoxale. À l’ouverture de la nouvelle session du Bundestag, l’Allemagne est traversée par un malaise politique et social profond qui rappelle à bien des égards la crise majeure qui a lieu, sous nos yeux, de ce côté-ci du Rhin.

Le chancelier Friedrich Merz se prononce en faveur de « la plus grande rigueur budgétaire » et exige « un automne des réformes », le doigt pointé sur des systèmes sociaux dont l’entretien serait, clame-t-il, « au-dessus de nos moyens » et empêcherait « tout retour à la compétitivité des entreprises ». Et le ton se fait d’autant plus impératif que les derniers relevés statistiques ne sont pas bons. L’économie allemande a enregistré au second trimestre un recul de 0,3 point du PIB, dans un contexte marqué déjà par la récession en 2023 et 2024.

Qu’on les prenne par n’importe quel bout, les engagements extraordinaires de la coalition chrétienne démocrate (CDU-CSU) du chancelier et de son partenaire social-démocrate (SPD), emmené par le ministre des finances Lars Klingbeil semblent, pour l’heure, ne rien y changer.

Les dépenses d’armement en forte hausse

Le déploiement d’un effort d’investissements publics record pour la Bundeswehr, l’armée fédérale, qui doit devenir la première du continent et se tenir rapidement « en capacité de faire la guerre », selon l’expression du ministre de la défense, Boris Pistorius (SPD), est présenté comme une bouée de secours pour l’industrie.

Le budget de la défense 2026 est en augmentation de 32 % sur celui de l’année en cours. Et il doit continuer de grimper pour atteindre 152,8 milliards en 2029 et se conformer à la norme fixée par Donald Trump lors du sommet de l’alliance atlantique de juin dernier (3,5 % de dépenses militaires pures auxquels il faut ajouter 1,5 % de financements des abris et autres installations « annexes » prévues pour la protection des populations civiles).

Pour l’heure ce sont surtout les cours de Bourse des géants du secteur, comme ceux de Rheinmetall multipliés par 4 en moins de 2 ans qui en ont tiré les plus grands profits.

Quant aux crédits nouveaux pour les infrastructures (500 milliards d’euros sur 12 ans) qui doivent échapper, eux aussi, aux normes du « frein à la dette », cette règle d’or constitutionnelle transgressée qui limitait jusqu’alors à 0,35 % du PIB le montant des nouveaux emprunts publics, les premiers engagements concrets de Berlin sur ce terrain ne semblent pas permettre d’inverser vraiment la vapeur. Car les contraintes géostratégiques et néolibérales qui leur sont imposées compromettent leur efficacité, jusqu’à prendre, pour certaines une dimension carrément contreproductive.

Sur le terrain social, alors que les vagues de suppression massives d’emploi – 35 000 chez Volkswagen d’ici 2030, 7 000 chez le sidérurgiste ThyssenKrupp, plusieurs dizaines de milliers chez les équipementiers automobiles – se succèdent, le souhait de procéder à une accentuation des dérégulations sociales, sous couvert de réformes, est présenté comme une donnée sans appel par le chancelier.

« Cocktail budgétaire délirant »

« Les Allemands ne travaillent pas assez », pontifie Friedrich Merz. Il veut mettre au travail une bonne partie des quelque 5,5 millions d’allocataires de l’indemnité citoyenne (Bürgergeld), l’équivalent allemand du RMI, qui vivraient sur le dos de la société. Les nombreux retraités de la génération dite des boomers (nés dans l’après-guerre) doivent également pouvoir être sollicités financièrement, ou en se retroussant les manches. La ministre de l’économie, Katherina Reiche (CDU), invoque ouvertement un report de l’âge de départ en retraite à 70 ans. Et même la journée de travail de 8 heures est ciblée, Berlin lui préférant la norme hebdomadaire européenne de 48 heures.

Écartée par la coalition au pouvoir pour les dépenses militaires et liées aux infrastructures, la règle d’or budgétaire reste cependant en vigueur sur tous les autres postes. Avec d’autant plus d’intensité que les rentrées fiscales espérées des investissements dans le militaire et les infrastructures, pour l’heure, se font attendre. Du coup, plus de 30 milliards d’euros manqueraient à l’appel du budget 2027.

Ce qui va nécessiter une forte « consolidation » a prévenu le vice-chancelier et ministre des finances en août dernier. Comprenez une austérité budgétaire conséquente avec des coupes « dans les dépenses de personnel » a précisé Lars Klingbeil demandant aux différents ministres de « faire dès maintenant les efforts indispensables. »

Dietmar Bartsch, député et dirigeant de Die Linke, dénonce un « cocktail budgétaire délirant » avec des dépenses militaires « à guichet ouvert ». Et face à l’automne de réformes antisociales programmé, il annonce qu’un « automne chaud » est la seule réponse possible pour son parti, à l’unisson d’un monde syndical très inquiet.

L’impact du plan d’investissement de 500 milliards d’euros pour les infrastructures s’est émoussé, autant pour des raisons de géopolitique que d’alignement toujours plus prononcé du capitalisme allemand sur le modèle anglo-saxon. Plusieurs ONG dénoncent ainsi les crédits supplémentaires alloués au financement de nouveaux terminaux de Gaz naturel liquéfié (GNL), importé à grands frais des États-Unis en vertu de l’accord commercial conclu récemment avec Donald Trump par Berlin et Bruxelles.

Par ailleurs, un boom de dépenses est prévu en soutien aux géants privés de l’immobilier pour stimuler la construction et tenter de répondre à l’une des questions les plus sensibles du moment pour des citoyens allemands, toujours majoritairement locataires et frappés de plein fouet par l’explosion du coût de leurs logements.

Mais rien n’est prévu pour l’habitat social public, gravement sous-développé outre Rhin. Seul bémol, quelque 100 milliards d’euros doivent être mis à disposition des Länder et des communes qui pourraient décider de mettre en place de vrais programmes de logements sociaux. Mais, pour l‘heure, rien ne permet d’anticiper une telle évolution.

Or des retombées tangibles sur des populations excédées par les pertes de pouvoir d’achat et le renforcement de la précarité sont indispensables pour enrayer la progression de l’AfD, une extrême droite, donnée ces jours-ci autour de 25 % des voix, quasiment à égalité avec la CDU-CSU du chancelier Friedrich Merz.

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