Qu’est-ce qui a déclenché l’écriture de votre livre “Les Yeux de Mona” ?
« Un événement personnel un peu triste que j’appellerais pudiquement le “non-avènement” d’un enfant. Cette épreuve, en 2013, a été dure, mais elle a eu le mérite de me donner l’envie de m’inventer une petite-fille idéale, en l’occurrence Mona, 10 ans, avec ses grands yeux et ses qualités humaines extraordinaires. Quant à l’histoire, avec cette menace de la cécité et les visites au musée, ça a été une inspiration qui m’est venue d’un coup, comme une évidence. »
Dans l’ouvrage, trois musées sont mis en avant avec cheminement à travers les œuvres d’art. Comment s’est fait le choix des musées, des tableaux et des sculptures ?
« Au début, je pensais à quelque chose de très large, avec des œuvres issues de quantité de cultures et d’époques. Mais il fallait resserrer pour avoir une vraie unité romanesque et dramatique. D’où le choix de Paris et, par conséquent, de ces trois fabuleux musées (Le Louvre, Orsay et Beaubourg) dans lesquels le choix est tout de même non négligeable. »
A-t-il été difficile de choisir les œuvres ?
« Il y a bien sûr des frustrations. J’aurais adoré parler de beaucoup d’autres artistes comme Caravage, Joan Mitchell, des réalisateurs de cinéma, ou même David Bowie ! Mais c’est un roman et pas un essai. La subjectivité est au cœur de cette démarche fictionnelle. Chacun peut ensuite, sur le modèle des chapitres du livre, s’imaginer le sien avec ses peintures préférées. »
Est-ce que ce sont des tableaux qui vous ont marqué personnellement ?
« Toute bonne œuvre est marquante. Et j’ai été bouleversé par certaines de celles qui sont dans le livre, oui. Je pense par exemple au Labourage nivernais de Rosa Bonheur. Je suis très sensible à la cause animale et c’est un tableau qui traduit à merveille la condition des bêtes, sans misérabilisme excessif, sans concession non plus. J’aime aussi la façon dont le bœuf au centre, piqué par un bouvier, a l’œil qui se dilate et semble nous regarder, nous interpeller. »
Vous avez une façon très descriptive de parler des œuvres d’art. Pourquoi ?
« Comme Les Yeux de Mona parle de cécité, je voulais que cela soit un livre accessible aux personnes souffrant de handicap visuel. C’était un grand défi : faire en sorte que ce roman sur les arts visuels n’exclue pas ceux qui sont aveugles ou qui souffrent d’une vue dégradée. C’est une des raisons qui m’a poussé à faire des descriptions réunissant le maximum d’éléments objectifs. »
Avez-vous effectué beaucoup de recherches pour maîtriser les œuvres choisies ?
« Oui, bien sûr. Comme historien de l’art, je suis spécialiste de la période allant du XIXe siècle à aujourd’hui et je suis familier de certains des artistes. J’ai écrit par exemple des livres sur Gustave Courbet ou Anna-Eva Bergman qui sont dans le roman. Mais il m’a fallu aussi enquêter sur des artistes que je ne connaissais pas, avec humilité. J’ai donc beaucoup appris moi-même avec Mona et son grand-père ! »
Comment est venue cette idée de mêler art et ressenti ?
« L’art, même le plus intellectuel et le plus conceptuel, comme une simple croix noire géométrique sur un fond complètement blanc de Kazimir Malevitch, est toujours chargé d’une forme de ressenti physique, charnel. C’est parfois très minimal mais c’est irréductible. »
La découverte des œuvres d’art s’apparente à un chemin personnel. Quel est le message que vous avez voulu livrer à travers les échanges entre Mona et son grand-père ?
« Le message de ce livre, c’est que l’art est au service de la vie. Il y a une phrase d’un artiste français aujourd’hui disparu et que j’adore, du nom de Robert Filliou. Il disait : “L’art est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art”. Je ne la cite pas dans le roman mais c’est ce qui en sous-tend la construction. »
Ce chemin s’apparente-t-il au vôtre ?
« Je me reconnais dans l’enfant qu’est Mona, bien qu’il n’y ait strictement rien d’autobiographique. J’ai puisé dans ma mémoire, dans mes sensations de jeunesse pour élaborer son caractère et ses épreuves. Mona apprend à perdre au long de l’histoire : elle perdra peut-être la vue, elle a perdu un être cher, elle perd parfois des objets et elle perd l’enfance, car elle avance vers l’adolescence. Je me reconnais dans ce parcours, oui. Je sais qu’apprendre à vivre, ce n’est pas apprendre à gagner, mais apprendre à perdre. »
Le livre est un succès. Est-ce que vous vous attendiez à cela et, selon vous, pourquoi connaît-il un tel succès ?
« Pas du tout ! Il faut demander aux lecteurs plutôt qu’à moi. C’est très difficile de répondre. Mais je pense qu’il y a deux choses vraiment parlantes dans ce livre : la force du lien entre petits-enfants et grands-parents d’une part, le rôle de l’art dans le sens qu’on accorde à notre existence, d’autre part. »
Combien de temps avez-vous mis pour la rédaction du livre ? Est-ce un projet qui mûrissait depuis longtemps ?
« J’ai mis dix ans, pas en continu, bien sûr, mais il a longtemps mûri, par retouches successives. Je voulais trouver la forme juste, ni essai académique, ni roman à intrigue classique. Ce n’était pas facile à mener d’autant que j’ai écrit et publié trois livres entre 2016 et 2022 en parallèle de la rédaction des Yeux de Mona. »
Vous avez une écriture que l’on n’a plus l’habitude de lire. Une écriture qui prend le temps de poser les choses dans un français qui montre la richesse du vocabulaire. Est-ce venu durant l’écriture ou bien est-ce un choix volontaire ?
« J’aime les styles limpides, qui ne cèdent ni au jargon ni à l’emphase. Je suis un partisan de ce qu’on appelle en bande dessinée “la ligne claire”. Cette simplicité demande une certaine exigence de vocabulaire et une grammaire plutôt soutenue. Ceci dit, je pense que Les Yeux de Mona est un livre extrêmement accessible, y compris pour un jeune public, et, surtout, c’est un roman qui peut s’aborder à des niveaux très différents, avec des registres de langue variés. »
Que venez-vous faire à Chagny ?
« Je viens y signer mon livre avec d’autant plus de plaisir que j’adore la Bourgogne. Et puis, je suis très ami avec l’ancien maire Daniel Malingre qui a fait énormément pour cette ville, en l’ouvrant par exemple à l’art dit “contemporain” dans les années 1990. Il y a notamment la sculpture de Richard Serra, Octogone pour Saint Éloi , installée face à l’église Saint-Martin. Mona aurait adoré cette œuvre ! »
Thomas Schlesser sera présent pour une rencontre dédicace le vendredi 12 septembre à 19 h au théâtre des Copiaus. Réservation conseillée auprès de la librairie A livre ouvert : 03 85 42 90 27 ou rdvnature@orange.fr.