Sur l’île de K’gari (anciennement Fraser Island), au large de la côte est de l’Australie, vivent des araignées peu engageantes mais redoutablement importantes pour la science. Les funnel web spiders ou araignées à toile-entonnoir, sont de proches cousines des mygales. Elles creusent des terriers tapissés de soie où elles attendent qu’une proie vienne faire vibrer leurs fils de détection. Peu agressives vis-à-vis des humains, elles n’en possèdent pas moins un venin dangereux et parmi les plus complexes connus chez les araignées.

C’est précisément cette richesse biochimique qui fascine Glenn King, chercheur à l’Université du Queensland. Depuis plusieurs années, ce spécialiste des venins de mygales s’attelle à isoler les peptides –ces petites briques moléculaires qui composent les protéines– afin de comprendre leurs effets sur l’organisme. Sa dernière découverte pourrait transformer notre façon de traiter les urgences cardiovasculaires, en limitant les dégâts causés par les infarctus et les accidents vasculaires cérébraux, détaille un article du site Popular Mechanics.

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Chaque minute compte lorsqu’une artère cérébrale ou coronaire se bouche. En cas d’AVC, on estime que deux millions de neurones meurent chaque minute, tandis qu’une crise cardiaque détruit rapidement de précieuses cellules cardiaques. Privés d’oxygène, les tissus passent en mode survie: ils consomment le glucose de façon accélérée, accumulent de l’acide lactique et déclenchent une cascade de signaux chimiques qui conduisent à la mort cellulaire.

Or, les venins animaux excellent justement à pirater les signaux biologiques, c’est d’ailleurs leur raison d’être. En perturbant le système nerveux, ils permettent de neutraliser les proies ou de dissuader les prédateurs. Chez l’humain, cette capacité à infiltrer les canaux ioniques –de minuscules portes moléculaires qui régulent les flux électriques essentiels à la contraction musculaire, au passage de l’influx nerveux et à la perception sensorielle– s’avère une opportunité thérapeutique.

Un petit shot de venin et ça repart

Glenn King et son collègue Nathan Palpant, spécialiste des maladies cardiaques, se sont penchés sur l’une des molécules les plus prometteuses du venin de ces araignées. Baptisée Hi1a, elle bloque les signaux chimiques qui ordonnent aux cellules de mourir. Testée sur des souris victimes d’AVC, cette molécule a réduit les dommages cérébraux de 80%, même lorsqu’elle était administrée quatre heures après le début de l’accident. Des résultats que Glenn King qualifie lui-même de spectaculaires.

Forts de ces découvertes, les chercheurs australiens ont créé une startup, Infensa Bioscience, pour transformer Hi1a en un médicament utilisable en urgence. L’entreprise prévoit des essais cliniques dès cette année à Brisbane, sur des patients victimes de crises cardiaques. Si les tests confirment son efficacité et son innocuité, ce traitement pourrait équiper ambulanciers et hôpitaux d’ici cinq ans. Une perspective qui aiderait à gagner un temps précieux dans un domaine où chaque minute sauve des vies.

Les araignées de K’gari n’ont sans doute pas livré tous leurs secrets. Leur venin compte des milliers de peptides différents, dont certains pourraient aussi soulager des douleurs chroniques, agir contre les troubles neurologiques ou même traiter des maladies comme l’endométriose. Aux yeux de Glenn King, ces arthropodes représentent une véritable «bibliothèque moléculaire» encore largement inexploitée.

Le potentiel des venins en médecine ne se limite d’ailleurs pas aux araignées. Le monstre de Gila, un lézard du sud-ouest des États-Unis, a inspiré la conception de l’Ozempic, aujourd’hui utilisé contre le diabète et l’obésité. Les hyménoptères –abeilles et guêpes– ont aussi livré des peptides aux propriétés anti-inflammatoires. Peu à peu, les toxines animales passent du statut de poison à celui de réservoir thérapeutique.

Si l’essai clinique australien confirme la promesse du Hi1a, il pourrait marquer le début d’une nouvelle ère: celle des médicaments issus directement du venin. Une révolution venue des forêts humides du Queensland et portée par une petite araignée discrète, potentiellement mortelle pour l’homme.