- « Les lacs du Connemara » de Michel Sardou est au cœur de l’adaptation du roman de Nicolas Mathieu, en salles ce mercredi.
- Utiliser une chanson célèbre dans le titre et/ou dans la bande-originale, est une pratique courante chez les cinéastes.
- Mode d’emploi avec Marc Hillman, compositeur et ancien négociateur de droits musicaux.
« Terre brûlée au vent / Des landes de pierre / Autour des lacs, c’est pour les vivants. Un peu d’enfer, le Connemara ». Même si vous êtes allergique à Michel Sardou, vous avez reconnu les paroles de l’une de ses chansons les plus célèbres, « Les lacs du Connemara ». Une rengaine populaire au cœur du roman de Nicolas Mathieu, Connemara (Actes Sud – 2022) dont l’adaptation par Alex Lutz sort ce mercredi 10 septembre sur les écrans, avec Mélanie Thierry et Bastien Bouillon dans les rôles principaux.
De « Nous irons tous au paradis » à « Partir un jour » en passant par « Ma petite entreprise » ou « Le premier jour du reste de ta vie », les réalisateurs français adorent puiser dans notre patrimoine musical, qu’ils donnent le titre d’une chanson à leur film et/ou l’utilisent dans le générique ou la bande-son. Sans qu’il y ait forcément un lien entre l’intrigue et les paroles.
Quand les réalisateurs utilisent le titre d’une chanson connue, c’est comme un produit d’appel
Marc Hillman, compositeur
Parfois, ce sont des paroles qu’ils choisissent de mettre en exergue. De battre mon cœur s’est arrêté de Jacques Audiard reprend ainsi un vers de « La Fille du Père Noël » de Jacques Dutronc. Tout comme Rien ne t’efface, la série de TF1 inspirée du roman de Michel Bussi puisque c’est le début du refrain de « Pas toi » de Jean-Jacques Goldman.
« Quand les réalisateurs utilisent le titre d’une chanson connue, c’est comme un produit d’appel », explique à TF1info Marc Hillman, compositeur et ancien négociateur de droits musicaux. « Ça donne un bonus au film vis-à-vis des spectateurs. Le titre va forcément titiller leur inconscient culturel, pourrait-on dire, parce que tout à coup, c’est un titre qu’ils connaissent. Et si c’est aussi un titre qu’ils apprécient, il va les mettre dans de bonnes prédispositions. »
En fredonnant tout l’été la mélodie de « Soleil Bleu », vous avez peut-être eu l’idée géniale qui donnera naissance à un futur succès du cinéma français au box-office, qui sait ? Sachez toutefois que si vous voulez donner son titre à votre projet de film, il y a quelques règles de base à suivre pour ne pas vous retrouver au tribunal quelques mois plus tard.
« Lorsqu’un réalisateur veut donner son titre ou utiliser une chanson dans son film, ses producteurs sont obligés de demander l’autorisation aux ayants droits qui sont le compositeur, le parolier et l’éditeur », rappelle Marc Hillman. « Lesquels peuvent être une seule et même personne comme Gainsbourg à son époque. Ils peuvent accepter à titre gracieux mais le plus souvent, c’est à titre payant. »
Une inspiration qui peut coûter cher
Marc Hillman connaît bien le sujet puisqu’il a composé la musique de « Tu m’oublieras » de Larusso, une adaptation de « You Will Forget » d’Irma Jackson, enregistrée en 1980 par Régine. « La version de Larusso qui date de 1998, a été utilisée dans une dizaine de films, soit à l’intérieur d’une scène, soit au générique, et donc à chaque fois, le producteur nous propose une somme qu’on partage en trois », explique-t-il. « Au minimum, c’est 10.000 euros. Mais si c’est une grosse production, ça peut aller jusqu’à 30.000 euros. » Et même beaucoup plus…
Pour L’Amour ouf sorti l’an dernier, Gilles Lellouche a mis au point une bande-originale qui contient quelques-uns de ses tubes préférés des années 1980. « A Forest » de The Cure, « Eyes without a face » de Billy Idol ou encore « Urgent » de Foreigner, la plupart voyant leurs écoutes sur les sites de streaming exploser dans la foulée du succès du film. Un titre, en revanche, lui a échappé. L’acteur-réalisateur rêvait en effet d’utiliser « Never Tear Us Apart » d’INXS. Mais suite à son regain d’exposition dans la série Euphoria, les ayants droits ont réclamé 200.000 euros à ses producteurs.
Attention au message !
Sortir le carnet de chèques est indispensable. Mais même si l’utilisation de la chanson part a priori d’un bon sentiment, il faut également s’assurer qu’elle ne lui portera pas préjudice en apparaissant dans une séquence qui contredirait son message. « Souvent, les producteurs ne nous soumettent pas le scénario en entier, mais la scène où la chanson est insérée », souligne Marc Hillman. « Une fois, on a refusé parce qu’il y avait un côté un peu pornographique ! ».
Récemment, l’inusable « Tu m’oublieras » a été utilisée en 2019 dans Mon Bébé de Lisa Azuelos, au cours d’une scène d’anniversaire où les amies de l’héroïne, interprétée par Sandrine Kiberlain, demandent au DJ de la passer en souvenir de leurs années de jeunesse. Mais aussi en 2021 dans le court-métrage primé au César Partir un jour, devenu le film qui a fait l’ouverture du dernier Festival de Cannes. Par choix de la réalisatrice, il n’apparaît pas dans la version longue.
Le cas de Connemara, en salles ce mercredi, est plutôt particulier. D’un point de vue légal, Nicolas Mathieu et son éditeur Actes Sud n’ont pas eu besoin de demander les droits à Michel Sardou puisque le roman ne reproduit pas des éléments protégés, comme les paroles ou la mélodie… même si on l’entend dans notre tête en tournant les pages !
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Habile, le Goncourt 2018 s’en sert lors d’une scène de mariage, trait d’union entre les classes sociales et les générations. Mais aussi comme signe de reconnaissance entre ses héros, Hélène et Christophe, qui renouent à l’aube de la quarantaine. Pour l’utiliser dans le film d’Alex Lutz, en revanche, les producteurs ont dû obtenir l’accord de son célèbre interprète. Quarante-quatre ans après sa sortie, « Les lacs du Connemara » va-t-elle se retrouver en tête des ventes et des écoutes de streaming dans quelques heures ?
Jérôme VERMELIN