Tous sont arrivés avec des étoiles dans les yeux. Travailler au contact des animaux, prendre soin d’eux, les nourrir : « Au début, c’est comme un rêve qui se réalise ». Depuis, ces mêmes salariés ont pour la plupart démissionné, se disant épuisés ou ayant souffert de burn-out ou de dépression au bout de plusieurs années.

Sept anciens employés du parc animalier de Bordeaux-Pessac, deuxième zoo le plus fréquenté de Nouvelle-Aquitaine, avec 110 000 visiteurs par an, ayant travaillé à différentes périodes et à différents postes, des bureaux aux soigneurs, évoquent à « Sud Ouest » un turn-over des salariés, des relations dégradées avec le directeur, des problèmes d’hygiène et de sécurité…

Ils dénoncent des problèmes de management, alors que « trois quarts de l’effectif sont partis en un an, avec une démission par mois en moyenne, de nombreux arrêts maladie et des dépressions », affirment-ils. En six mois, huit personnes auraient quitté le service communication.

« Il décide de tout »

Ces anciens salariés pointent la responsabilité du directeur – propriétaire du zoo depuis 2018 –, Mathieu Dorval. « Il fait peur à tout le monde », répètent plusieurs d’entre eux, alors qu’un procès aux Prud’hommes est en cours. « Il surveille le personnel sur les caméras de surveillance. Une fois, il m’a appelée pour me dire de faire les choses autrement, alors que j’étais seule. Il m’observait sur les caméras », assure Manon*, ex-employée. D’autres affirment avoir vécu la même situation.

Le zoo de Bordeaux-Pessac est dirigé par Mathieu Danchequin Dorval, directeur depuis 2015 et propriétaire depuis 2018.

Le zoo de Bordeaux-Pessac est dirigé par Mathieu Danchequin Dorval, directeur depuis 2015 et propriétaire depuis 2018.

Laurent Theillet / SO

« Il décide de tout et prend toujours des décisions contre l’avis des salariés, ce qui nuit au bien-être des animaux et du personnel. Il a fallu que je parte pour préserver ma santé mentale », accuse Louise*, une ancienne soigneuse qui a démissionné depuis.

Morts suspectes

Ces décisions auraient conduit, selon ces anciens salariés, au développement de maladies chez des animaux voire à la mort pour certains. Sollicitée, la préfecture n’a constaté aucune anomalie de sécurité ou de bien-être animal lors de ses derniers contrôles par la Direction départementale de la protection des populations (DDPP), en octobre 2020 et en juin 2023.

Conformément à la loi, les inspections se font tous les trois ans. Elles sont généralement annoncées avant chaque passage. Ce que regrettent ces anciens employés. Ils citent les exemples de deux perroquets « en bonne santé », décédés au lendemain de gros travaux réalisés devant leur enclos, « alors qu’on avait demandé à les déplacer avant pour ne pas les stresser », d’« un mulet (qui) a eu la gale pendant plusieurs mois, car il vivait dans un enclos constamment inondé, des cas de consanguinité (qui) sont apparus chez des moutons avec des malformations ou des températures d’enclos pas adaptées aux animaux ».

Aucune plainte ni aucun signalement n’ont été faits à ce stade. Les salariés souhaitent « simplement alerter pour que les choses changent, sans nuire aux animaux »

Les enclos immersifs des lémuriens et perroquets ne sont pas surveillés, laissant la possibilité aux visiteurs de nourrir les animaux, qui tomberaient régulièrement malades, avec parfois pour le public le risque de se faire mordre, ce que nous avons constaté lors d’une visite.

« Pour moi, même si ce n’est pas physique, c’est une forme de maltraitance animale », dénonce Marie*, ancienne soigneuse. Contacté, le zoo réfute les accusations et affirme que toutes les décisions « sont prises dans le respect du bien-être de nos animaux ».

« Si un félin s’échappe… »

Autre exemple, la fuite d’une autruche, relatée dans « Sud Ouest » en septembre dernier, qui « aurait pu être évitée car nous avions prévenu que l’enclos était inadapté pour le nouveau mâle, qui a fait fuir la femelle », affirme Thomas*, un autre soigneur.

« Heureusement que ce n’était qu’une autruche. Car si un félin s’échappe, ce serait chaotique. Si cela se produit, il y a une procédure d’euthanasie avec un fusil, car il y a danger de mort pour le public. Mais il arrivait que la seule personne habilitée à tirer, à savoir le directeur, s’absente tout un week-end. Et sur le seul exercice qu’on a réalisé, on s’est rendu compte qu’on n’était pas du tout prêts, par manque de formation », alerte Chloé*. Le zoo assure respecter toutes les procédures et avoir aujourd’hui deux personnes autorisées à tirer.

« Pareil pour les issues de secours, deux sur trois étaient impraticables. Comment fait-on s’il y a un incendie et qu’on est coincé avec le public dans le parc ? » se demandent-ils.

« Nous respectons scrupuleusement les obligations réglementaires, et nous sommes contrôlés à ce sujet par les autorités et notamment la DDPP, sinon nous n’aurions pas reçu notre autorisation d’ouverture renouvelée et mise à jour en août dernier par la préfecture de Gironde après un passage en commission », répond le propriétaire.

Congélateur défectueux

Un épisode a particulièrement marqué les esprits. Le grand congélateur où était stockée la viande (rongeurs et poussins) pour les animaux carnivores s’est mis à dysfonctionner pendant six mois, avant de tomber en panne. « Dès le début, on a alerté le directeur mais rien n’a été fait. Les tigres blancs sont tombés malades avec de la viande avariée, car la chaîne du froid n’était plus respectée », indique Chloé. Preuve à l’appui, les salariés montrent des photos de cette chambre froide avec une température de plus de 15 degrés, à différentes dates. « Comme elle ne fonctionnait plus, la viande a dû être stockée dans des congélateurs du snack-restaurant, à côté de ceux pour la nourriture du public…. »

  • Le thermomètre du congélateur affichait plus de 15 degrés.

    Le thermomètre du congélateur affichait plus de 15 degrés.

    DR

  • La viande décongelée plusieurs fois a été donnée aux animaux.

    La viande décongelée plusieurs fois a été donnée aux animaux.

    DR

  • Des restes d’une antilope stockés dans le congélateur à 15 degrés.

    Des restes d’une antilope stockés dans le congélateur à 15 degrés.

    DR

Le cadavre d’une antilope en décomposition est resté plusieurs mois dans ce congélateur défectueux. « On ne pouvait plus y entrer, l’odeur était horrible. C’est un CDD qui a dû tout nettoyer, certains ont vomi », relatent les soigneurs, qui ont refusé de prendre le risque pour leur santé. Mathieu Dorval assure avoir commandé un nouveau congélateur mais n’a jamais été livré, car « c’était une arnaque ». Il affirme ne « pas avoir en mémoire le jour où les soigneurs auraient pu avoir utilisé des congélateurs de la zone snack » mais « aurait pu appuyer cette décision temporaire, si la chaîne du froid était respectée ».

Aucune plainte ni aucun signalement n’ont été faits à ce stade. Les salariés souhaitent « simplement alerter pour que les choses changent, sans nuire aux animaux. »

*Tous les prénoms ont été modifiés