Au Muy, dans le Var, le rond-point de l’autoroute A8 n’a jamais été entièrement déserté par les « gilets jaunes »
Il y a des bastions de « gilets jaunes » qui ont tenu, malgré tout. Figés dans l’attente d’un regain soudain du mouvement. Au Muy, dans le Var, le rond-point de l’autoroute A8 n’a jamais été entièrement déserté : une poignée de femmes sont venues quelques heures tous les samedis après-midi, été comme hiver, depuis novembre 2018.
Aujourd’hui, ils sont une quarantaine à filtrer le trafic. Ce n’est pas une « reprise » du mouvement, estiment-elles, puisque, elles, elles ne sont jamais parties. « Mais on est quand même contentes de voir du monde », sourit Christelle, qui n’a pas voulu donner son vrai nom – elle n’aime pas ce que les journalistes « ont fait du mouvement ».
Ici, les gendarmes « les connaissent », au point de partir en pause déjeuner avec un petit signe de la main. « C’est comme des enfants : on est sages, alors ils nous laissent jouer tranquilles », dit Martine, dont le nom a également été modifié.
Depuis le début du mouvement des « gilets jaunes », en novembre 2018, le rond-point a connu plusieurs couples et un mariage. Quelques morts, aussi. En ce 10 septembre, il compte de nouvelles têtes qui n’ont rien suivi à l’historique. D’autres sont revenus manifester sur le rond-point malgré la déception de la dernière mobilisation et « la crainte de se retrouver avec des militants LFI », explique Martine. « Ma mère n’a pas voulu venir à cause de ça », dit-elle. « Mais tout compte fait, moi, je me dis que les ennemis de mes ennemis sont mes amis. »
Parmi ces nouveaux, il y a George et Muriel Vittoz, 70 ans. Lui était gardien de HLM, elle était femme de ménage. Le couple a travaillé parfois sept jours sur sept pour « offrir des études » à leurs deux fils. Aujourd’hui, ces derniers sont tous les deux ingénieurs, mais leurs parents sont tout de même déçus. « On a tout fait pour qu’ils aient une belle vie, et quoi ? Ils commencent leur carrière avec des salaires vraiment pas dingues, une inflation terrible, des inégalités qui explosent… On s’est sacrifiés pour eux, et finalement, ils triment quand même. »
Sofia Fischer (Nice, correspondance)