A plusieurs reprises ces derniers mois, des drones russes ont violé l’espace aérien des pays de la frontière orientale de l’Otan, de la Roumanie aux pays Baltes. En août, deux d’entre eux se sont écrasés en Pologne et Lituanie, au cours de nouvelles nuits de frappes aériennes massives contre les villes ukrainiennes. Dans les deux cas, il s’agissait de Gerbera. Ce modèle sans charge explosive sert de leurre au profit d’un drone possédant un design et une signature radar proche, le Shahed. Difficile de savoir s’il s’agissait de ciblages délibérés ou de drones désorientés, ayant dévié de leur trajectoire.
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Les violations de la nuit du 9 au 10 septembre sont d’une tout autre ampleur. Pour la première fois, au moins 19 drones russes, selon les autorités polonaises, ont pénétré en Pologne. Certains depuis l’Ukraine – Kiev a fait état d’une attaque de 415 drones et 43 missiles – et d’autres depuis la Biélorussie, a précisé le Premier ministre Donald Tusk au Parlement. Ils ont été en partie neutralisés par des avions de combat polonais et néerlandais. Les restes de l’un de ces engins sont tombés sur une maison d’un bourg de la région de Lublin, sans faire de victimes.
« Nous ne sommes pas en guerre, mais nous ne sommes plus en paix », a répété à plusieurs reprises cette année le ministre de la Défense français Sébastien Lecornu, tout juste nommé Premier ministre. Cette incursion russe inédite confirme la stratégie de grignotage adoptée par la Russie dans son conflit latent avec l’Occident, à commencer par les pays européens soutenant les Ukrainiens, au premier chef la Pologne.
L’hostilité russe va crescendo
Cette violation d’un espace aérien dépasse le simple incident à la marge de la plus grande guerre sur le continent européen depuis 1945. Mais elle n’est pas au point d’engager des représailles directes et immédiates de la part de la Pologne ou de l’Otan. L’hostilité russe va crescendo, dans la droite ligne de la recrudescence de sabotages en tout genre, depuis l’invasion de février 2022 en Ukraine.
La rupture délibérée de câbles sous-marins a été le plus souvent l’œuvre de navires civils avec des équipages russes, dans des zones de navigation libres. Ici, il est question d’un territoire pleinement souverain et d’armement de nature militaire. La frontière entre la guerre hybride, menée en dessous du seuil d’un affrontement sur le champ de bataille, et la guerre « tout court », s’estompe.
Cela ne peut que susciter l’inquiétude : une telle opération permet à la Russie de tester aussi bien la réaction politique des Occidentaux que leurs défenses aériennes. Elle intervient également après les attaques contre une usine américaine en Ukraine, ainsi que les bureaux, à Kiev, de l’Union européenne et du British Council. A cet égard, la réaction polonaise de la nuit dernière était nécessaire, estime dans un tweet Olga Oliker, directrice Europe de l’International Crisis Group : « Que ces dommages soient intentionnels ou non, le fait de ne pas y répondre suggérerait, au mieux, que Moscou n’a pas besoin de faire preuve de prudence et, au pire, qu’il a carte blanche ».
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Pour l’Estonienne Kaja Kallas, cheffe de la diplomatie européenne, cette violation laisse penser « qu’il s’agissait d’un acte intentionnel, non accidentel ». Le président Ukrainien Volodymyr Zelensky a, lui, dénoncé un « ciblage délibéré » et appelé à un système de défense aérienne commune. De son côté, Varsovie a annoncé l’activation de l’article 4 de l’Otan, prévoyant une consultation entre membres lorsque l’intégrité territoriale de l’un d’entre eux est menacée, pour approfondir la coopération sur la sécurité de l’espace aérien et des frontières otaniennes. Une réponse trop timide risquerait d’ouvrir la voie à de nouvelles opérations russes de ce genre.