Auteur du livre La décomposition du Moyen-Orient paru le 8 mai dernier aux Éditions Tallandier, Adel Bakawan, directeur de l’European Institute for Studies on the Middle East and North Africa, sera à Toulon ce jeudi 11 septembre (1). Invité par la Fondation méditerranéenne d’études stratégiques, il reviendra sur les événements qui, au cours de ces 25 dernières années, ont conduit au chaos au Moyen-Orient. Et notamment sur trois dates – le 11 septembre 2001, les printemps arabes de 2010-2011 et le 7 octobre 2023 – qu’il qualifie de « ruptures qui ont fait basculer l’histoire ».
En quoi l’attentat suicide contre les Twin Towers de New York, le 11 septembre 2001, a-t-il contribué à la lente décomposition du Moyen-Orient?
Pour le président américain de l’époque, George W. Bush, les États-Unis avaient été pris pour cible parce qu’ils portaient la démocratie. De ce constat est née l’idée de démocratiser le grand Moyen-Orient (qui s’étend du Maroc à l’Afghanistan).
Pour mener à bien leur projet, les États-Unis ont décidé qu’il leur fallait créer un modèle d’État démocratique et libéral au Moyen-Orient et ont choisi l’Irak de Saddam Hussein qui, avec la Syrie et l’Égypte, constituait le centre de gravité du monde arabe. Pour ce faire, ils ont décapité l’Irak, notamment en s’attaquant à l’élite sunnite qui dirigeait le pays depuis plus de 300 ans. Ils ont voulu démocratiser le pays par le haut, mais le bas n’était pas prêt.
Si l’on s’en tient à la date du 7 octobre 2023, vous vous attendiez au « jusqu’au-boutisme » israélien en réaction à l’attaque du Hamas?
Oui, parce que c’est la première fois dans l’histoire d’Israël qu’une armée arabe, en l’occurrence la Hamas, réussit à pénétrer en territoire israélien et à assassiner près de 1.200 personnes. Pour un pays comme Israël, qui a construit sa mythologie sur la sécurité de son territoire, l’invincibilité de son armée Tsahal et l’efficacité de ses services de renseignements, l’attaque terroriste du 7 octobre est un énorme échec. Les Israéliens ont vraiment eu l’impression que leur pays pouvait disparaître. Et à partir de cette date, Israël, blessé dans son arrogance, a décidé de changer la totalité du Moyen-Orient en décapitant l’ordre milicien instauré par l’Iran. À Gaza bien sûr, mais aussi en Cisjordanie, au Liban, en Syrie, au Yémen, et en Irak. En deux ans, Israël s’est imposé comme le centre de gravité du Moyen-Orient, ce qui n’était pas le cas avant.
C’est l’enterrement de la solution à deux États pour régler le conflit israélo-palestinien?
Absolument pas. Pour la sécurité d’Israël dans un environnement hostile, la solution à deux États est la seule voie envisageable. Les Israéliens n’ont pas d’autre choix que d’aider à la création d’un État palestinien ami, désarmé et allié. Les autres solutions évoquées n’ont aucun avenir. Rester dans la situation actuelle ne fera que favoriser la radicalisation de générations. Déporter les six millions de Palestiniens, vers où? Ni l’Égypte, ni la Jordanie ne veulent les accueillir. Quant à la solution d’un État binational, ce serait la fin d’Israël en tant qu’État juif.
Emmanuel Macron a-t-il raison de reconnaître l’État de Palestine?
Sur cette question, je soutiens totalement Emmanuel Macron. Quand on se rappelle que, au lendemain de l’attaque du 7 octobre 2023, le président de la République avait proposé de bâtir une coalition régionale et internationale pour lutter contre le Hamas, cette décision de reconnaître la Palestine n’a pas dû être facile. Mais en regardant ce qu’il se passe depuis près de deux ans, Emmanuel Macron, qui a des exigences très claires en excluant notamment toute participation du Hamas à un gouvernement palestinien, a compris que c’était la voie de la raison.
Combien de temps sera-t-il nécessaire pour retrouver de la stabilité au Moyen-Orient?
Vingt ans en l’état actuel, si la décomposition se limite aux institutions. Mais peut-être cinquante ans si jamais des pays comme l’Irak, la Syrie ou encore le Liban entrent dans la décomposition territoriale et se scindent en États sunnite, chiite, kurde, druze, alaouite…
1. La conférence d’Adel Bakawan aura lieu à la Faculté de droit de Toulon, le jeudi 11 septembre à partir de 18h30. S’inscrire sur le site internet de la FMES (www.fmes-france.org).