« Elle est abandonnée, maintenant, à la créativité des artistes. » Ces paroles, prononcées par Hélène Fincker, maîtresse des lieux, résonnent dans l’escalier aux marches de marbre couleur perle, desservant les trois niveaux surannés, délavés, mais charmants de la villa Cameline. Le nom d’origine de celle qu’on nomme aussi la Maison abandonnée. Une étrange et belle demeure, érigée 43, avenue Monplaisir, quartier de la Libération. Une bâtisse restée dans son jus, mêlant les styles Belle Époque, rococo, baroque. Imposant sa façade crème parcourue de guirlandes de roses et de raisins en relief en hommage à Bacchus, de balcons aux balustres ventrues. Devenue espace décalé, dévolu aux créateurs contemporains, mais qui conserve tout son mystère du passé.
Squat, tags et fêtes clandestines
La maison reprendra ses expos, ce vendredi 12 septembre, à travers « Fictions oniriques » de Charline Bourcier (1). Une artiste peintre figurative, qui s’est lancée dans des recherches concernant ce bâtiment inclassable. « C’est très difficile », avoue Hélène Fincker, propriétaire de la villa pour laquelle elle assure le commissariat des expositions depuis son ouverture en 2003. Difficile en dépit de fouilles minutieuses dans les archives, « mais pour l’instant, elle n’y arrive pas ».
Une maison abandonnée et inconnue alors? Hélène Fincker a essayé elle aussi de reconstituer le puzzle de cette villa de maître, longtemps laissée aux quatre vents, occupée par des squatteurs, chahutée par des fêtards clandestins, taguée, souillée, mais finalement, pas si détériorée que cela en dépit d’un âge très avancé. Et qui dégage encore toute son âme envoûtante.
Hélène Fincker a, en effet, retissé un semblant de trame, grappillant des témoignages de visiteurs les soirs de vernissages. De vieux Niçois. Qui auraient eu des informations transmises de génération en génération. « La maison a été bâtie dans les années 20. Elle aurait appartenu à un pâtissier. À l’époque, l’avenue Monplaisir, c’était la campagne remplie de cressonnières et de sources et avec des fermes ça et là, où les gens venaient acheter du lait. Les impôts de Cadeï auraient d’abord été une ferme. Avec des vaches, des cochons. Le palais Monplaisir fut la première maison, datant des années 1880, devenue pension de famille. Lentement, ça s’est construit. »
Une famille d’origine corse
Un site d’architecture, PSS. Archi, indique que la villa Cameline s’est d’abord appelée villa Lotty, qu’elle a été édifiée en 1926 d’après les plans d’un architecte, Victor Vérany, pour le compte d’un certain Benjamin Franco, maître d’ouvrage. « Plus récemment, poursuit Hélène Fincker, les derniers habitants connus étaient la famille Trani, d’origine corse. C’est à elle que mon mari et moi l’avons rachetée en 2003. Nous avions déjà acquis une maison niçoise, mitoyenne de cette villa abandonnée depuis 5 ou 6 ans. Celle-là nous attirait très fort. »
1. Fictions oniriques, vernissage le 12 septembre, à 18h. Exposition du 13 septembre au 18 octobre, les mercredis et samedis de 15h à 18h30. Nocturnes les jeudis 25 septembre et 9 octobre, de 18h à 22h. Contact: Villacameline.fr
Tout a été nettoyé, mais conservé en l’état, volontairement afin que les lieux deviennent inspirants pour les artistes invités. Photo Dylan Meiffret.
Un écrin pour un galop d’essai
« On a passé un an à nettoyer. »
Hélène et son époux François se sont retroussé les manches et ont briqué comme des dingues. Un couple d’Alsaciens. « Nous avons quitté Strasbourg en 1985 pour Marseille. Mon mari était médecin nucléaire dans un hôpital public, mais dans les années 88, sa spécialité a été autorisée en clinique privée. Donc, nous avons quitté la cité phocéenne au début des années 90 pour venir à Nice et François a ouvert un service de médecine nucléaire dans un établissement des Alpes-Maritimes. » Hélène, elle, évoluait dans la communication et s’est inscrite en 3e cycle en muséologie et ingénierie culturelle. À présent, elle est l’interface de trois musées nationaux: Chagall à Nice, Fernand Léger, à Biot, Picasso, à Antibes, mais jongle toujours avec la communication, la presse. Plus la villa Cameline, donc, dans laquelle elle encourage différentes formes de création actuelle par la présentation d’expositions temporaires.
Conservation uniquement
Une villa intacte au milieu des agrumes plantés sur des restanques, devancée par un cactus géant. « La maison était saine, en très bon état, malgré son vécu. Nous n’avons pas entrepris de travaux. Nous avons juste refait l’électricité, la plomberie et le toit. Un vrai boulot de nettoyage et de conservation, plus complexe qu’une restauration totale. Cette demeure qu’on appelle folie niçoise, est une vieille dame qui doit garder son identité, son âme et qu’il faut choyer. »
Parquet en chevrons, carrelages et cheminées de marbre, dont une encore surmontée de tags, murs volontairement croûteux aux couleurs passées, cuisine au fourneau monumental, sanitaires blancs avec baignoire à pieds, interrupteurs pareils à des sonnettes de vélos… C’est comme avant, sur 280m2. Sans meubles ou quasiment. « Cette maison est destinée aux artistes contemporains pour lesquels, j’ai des coups de cœur. Ils viennent de partout. Je les découvre grâce aux réseaux sociaux, aux magazines spécialisés, au bouche-à-oreille. Je les invite, mais ils doivent s’adapter au lieu. Ils ne doivent pas repeindre les murs, accrocher des choses aux plafonds. Cameline reste un écrin inspirant, permettant un galop d’essai. »
Deux films tournés
Des plasticiens. Des réalisateurs aussi. Deux films ont été tournés dans ce cadre magique: Espèces menacées de Gilles Bourdos durant un mois et demi et Inconnu à cette adresse, polar pour Netflix, durant trois semaines. « Il y a des artistes, des films… C’est comme un millefeuille et tout fait partie de l’histoire de la maison… » Qui n’est plus à l’abandon.