Le JDNews. En juin, vous avez renforcé votre partenariat avec le gouvernement singapourien. En quoi illustre-t-il la stratégie de Danone dans la région ?
Christian Stammkoetter. Singapour est un point névralgique pour nous depuis plusieurs années, et nous sommes en phase avec le gouvernement, leur manière de penser la santé en passant d’une approche curative à une logique préventive et prédictive, dans laquelle la nutrition joue un rôle central. L’écosystème local, avec ses universités et ses hôpitaux, est très propice aux collaborations. C’est pour cela que nous y avons investi, notamment avec notre Digital Life Hub depuis 2018. Singapour agit aussi comme un véritable phare pour le reste de l’Asie du Sud-Est, en particulier pour l’Indonésie et la Malaisie, et comme un pôle d’attraction pour les talents locaux et internationaux.
L’Indonésie est un de vos cinq plus gros marchés…
Oui, nous y comptons plus de 12 000 salariés, 24 usines et deux marques emblématiques : Aqua, l’eau en bouteille fondée il y a plus de cinquante ans par M. Tirto Utomo (dont la famille reste encore aujourd’hui actionnaire), et SGM, lancée par le gouvernement indonésien et l’Unicef pour lutter contre la malnutrition après la guerre. SGM est aujourd’hui une référence en nutrition infantile. Notre stratégie est alignée sur la vision nationale « Golden Indonesia 2045 », qui vise notamment à réduire la malnutrition.
Il y a quelques années, près de 25 % des enfants souffraient de retard de croissance : grâce à des produits accessibles et adaptés, ce chiffre a baissé de plus de 5 points. Nous concentrons désormais nos efforts sur la lutte contre l’anémie par carence en fer, qui touche un tiers des enfants. Nous avons signé un partenariat avec l’agence nationale de nutrition pour renforcer le dépistage, la sensibilisation et l’éducation à ce sujet.
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Et l’Inde ?
C’est un marché à fort potentiel, mais complexe… L’Inde est un marché immense et en pleine croissance. Notre présence y est encore modeste, mais elle s’intensifie. Nous nous concentrons sur deux axes : la nutrition infantile, encore peu développée, et la nutrition adulte avec Protinex, une marque centrée sur notre expertise en protéines, soutenant le vieillissement en bonne santé, mais proposant également des produits répondant à la prévalence du diabète et aux carences en protéines. Nous développons donc des produits accessibles, appuyés sur la science, pour y répondre.
« Nous pensons qu’il est toujours possible de concilier performance et impact »
Comment conjuguer enjeux de santé publique et business ?
C’est tout le cœur de la mission de Danone : « La santé par l’alimentation pour le plus grand nombre. » Dans la région, les défis nutritionnels sont immenses. Nos produits et notre expertise scientifique peuvent vraiment faire la différence. Nous développons des solutions très pointues, notamment pour améliorer l’absorption du fer, et nous travaillons main dans la main avec les autorités. Cela crée de nouveaux segments de marché à double impact, à la fois sociétal et économique. C’est l’esprit hérité d’Antoine Riboud dans les années 1970 et nous pensons qu’il est toujours possible de concilier performance et impact.
Mais au fond, vous restez une entreprise, pas une ONG !
Oui, mais en 2006-2007, sous l’impulsion de Franck Riboud, nous avons fait le choix de passer d’un groupe agroalimentaire généraliste à une entreprise de santé par l’alimentation. Nous nous sommes concentrés sur les produits laitiers, l’eau, la nutrition infantile, médicale et végétale… C’est le cœur de notre stratégie. L’acquisition de Numico a été déterminante, notamment pour ancrer la science dans notre modèle. D’ailleurs, le yaourt lui-même est un produit à vocation de santé. À l’origine, il était vendu en pharmacie ! Même Evian a commencé comme une eau thérapeutique. Nous restons donc fidèles à notre histoire et à notre ADN.
Vous dirigez une zone vaste et hétérogène, qui inclut l’Afrique et le Moyen-Orient… Y a-t-il des convergences ?
Nous misons beaucoup sur l’ancrage local. En Indonésie, en Malaisie, en Afrique du Sud, en Afrique de l’Ouest, nous avons des marques profondément locales, même si nous proposons aussi Activia ou Aptamil. Nous construisons des plateformes communes pour répondre aux enjeux communs, comme la lutte contre l’anémie : nous adaptons localement les solutions, mais avec un socle scientifique commun. C’est le cas aussi pour nos innovations destinées aux bébés nés par césarienne, un phénomène en forte hausse dans les hôpitaux privés d’Asie : l’idée, c’est d’être à la fois localement pertinent et globalement cohérent.
« Les besoins sont universels, mais les cultures alimentaires resteront profondément locales »
Ce n’est donc plus un simple « reste du monde »…
Exactement, nous avons d’ailleurs abandonné ce terme. Plus de 70 % des bébés du monde naissent chaque année dans ces régions. Je dis souvent à mes collègues européens : « Et si c’était vous, le reste du monde, demain ? » La croissance ici est deux à trois fois supérieure à la moyenne mondiale. Danone a donc tout intérêt à y être fortement implanté.
Les cultures alimentaires vont-elles inéluctablement s’uniformiser dans le monde, par la science et les politiques de santé ?
Les besoins nutritionnels sont universels, mais je suis convaincu que les cultures alimentaires resteront profondément locales. En Asie, au Moyen-Orient, en Afrique… chaque pays a son identité culinaire forte. Je crois qu’elle doit être préservée. Ce qui changera, c’est l’ajout de produits riches sur le plan nutritionnel, adaptés aux besoins spécifiques des consommateurs – comme nos formules pour jeunes enfants enrichies en IronBiotics, qui s’intègrent à leur alimentation et contribuent à corriger certaines carences. Ou encore en Inde, par exemple, où les régimes végétariens actuels peuvent entraîner des déficits en protéines. On verra sans doute se développer une hybridation, mais le cœur de l’alimentation restera culturel.
Vous venez d’annoncer que vous allez prochainement rejoindre Givaudan en tant que CEO : quel est votre sentiment ?
J’ai passé 18 années formidables chez Danone. Je suis arrivé avec le rachat de Numico, et je dis souvent que je n’avais pas choisi Danone au départ, mais que j’ai choisi d’y rester. C’est une entreprise unique, dont la mission d’apporter la santé par l’alimentation au plus grand nombre est plus que jamais essentielle. J’ai eu la chance de côtoyer des femmes et des hommes exceptionnels qui m’ont inspiré chaque jour. Je vais donc savourer les mois à venir chez Danone avant de rejoindre les équipes de Givaudan, une entreprise guidée par sa raison d’être, où la créativité, la culture centrée sur le client, l’identité unique et les 250 ans d’héritage dans l’art de créer des parfums et des saveurs extraordinaires m’inspirent profondément. Alors, même si je suis triste de quitter Danone à la fin de l’année, je suis très enthousiaste à l’idée de commencer cette nouvelle aventure avec Givaudan.