Un bijou contre un peu de sous. Prêter de l’argent aux plus modestes en l’échange d’un objet en gage : c’est la mission première du Crédit municipal, ou Mont-de-piété. Alors, partant de cette vocation initiale, comment le Crédit municipal de Bordeaux, dont l’actionnaire unique est la ville de Bordeaux, a-t-il pu, entre 2017 et 2020, contracter des prêts risqués, par exemple au bénéfice de Chantal Goya et son mari, des ayants droit de Michel Delpech ou encore d’une princesse persane ? Celle-ci a par exemple obtenu un prêt de 750.000 euros « quand les gages mis en garantie ne représentent que la moitié de la somme », précise Sud-Ouest.
La chanteuse pour enfants et son mari, compositeur, viennent d’être condamnés cet été par le tribunal de Paris à verser 2,18 millions d’euros au Crédit municipal de Bordeaux et ont annoncé faire appel. Noël Eyrignoux, qui a été un membre désigné du conseil d’orientation et de surveillance du Crédit municipal de Bordeaux plusieurs mois en 2017 et 2018, au titre de ses compétences financières, donne plusieurs pistes de décryptage à 20 Minutes concernant ces dérives.
Un établissement surdimensionné
En plus d’Agen, Limoges, Pau, Périgueux et Poitiers (et de Bordeaux) encore dans les limites de la région Nouvelle-Aquitaine, le périmètre du Crédit municipal de Bordeaux s’étendait en 2017 jusqu’à Auxerre, Belfort, Besançon, Dijon, Nevers et Orléans. Alors que dans certaines villes, on veut alors tourner la page des Monts-de-piété, la direction du Crédit municipal de Bordeaux y voit l’occasion d’étendre son emprise territoriale. Et en quelques années, elle progresse beaucoup. Dans son rapport d’observations définitives de 2021, la Chambre des comptes mentionne qu’il a aussi existé un projet, finalement abandonné, de reprise des caisses de Roubaix et de Boulogne-sur-Mer.
« Il y avait, je pense, une volonté du directeur, estime Noël Eyrignoux. Il avait de l’ambition pour sa structure et ce n’est pas forcément négatif, mais il ne s’est pas donné les moyens de cette ambition, à mon sens. » Les effectifs n’ont pas changé suffisamment à mesure que l’établissement prenait de l’ampleur. « Quand on change de système, il faut peut-être changer de gouvernance et avoir des élus davantage formés aux nouveaux métiers que se donnait le nouveau Crédit municipal de Bordeaux. C’est pour cela que je ne suis pas resté longtemps. »
De nouvelles vocations
Le modèle de base du Crédit municipal est vertueux : aider les plus fragiles et reverser les bénéfices de l’établissement au profit des actions sociales de la mairie. Mais en quelques années, un virage est donc pris. Entre 2017 et 2020, sont accordés des prêts de grosses sommes à des personnalités, sans garanties suffisantes, ou par exemple à « un couple basé entre Nice et Milan qui a obtenu un crédit de 8 millions d’euros pour investir dans un Ehpad du nord de la France et l’achat d’œuvres d’art », comme le rapporte encore Sud Ouest.
« On avait changé de métier, commente Noël Eyrignoux. Qu’on puisse adjoindre quelques activités complémentaires, pourquoi pas ? Mais là, il y a une extension territoriale dans une dizaine de villes françaises et des activités un peu éloignées du métier de base du Crédit municipal. »
Il rappelle aussi qu’en 2017-2018, l’équipe municipale est très mobilisée sur différents sujets (mise en service de la LGV, attraction immobilière et touristique de la ville…) et qu’il est difficile de blâmer les élus. « Ils n’ont peut-être pas mesuré à quel point le Crédit municipal avait changé de dimension et de vocation, pointe-t-il. On est passés d’une structure locale et sur des métiers très précis, très maîtrisés, à une structure nationale avec des métiers moins connus. Et c’était aussi l’époque des innovations bancaires. »
« La stratégie « volontariste » du directeur général alors en poste a été permise par la défaillance du conseil d’orientation et de surveillance (COS), dont les membres élus se sont absentés et dont les membres qualifiés ne s’autorisaient pas à remettre en cause les actions d’un directeur général nommé par le maire », fait aussi valoir la chambre régionale des comptes dans son rapport de 2021.
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En 2020, la nouvelle municipalité, à la tête de laquelle a été élu Pierre Hurmic (EELV), hérite du dossier et parvient à empêcher la perte de l’agrément bancaire. Un retour sur les rails a été opéré depuis par l’établissement financier qui ne compte plus que six agences, dont Bordeaux.