Le fromage québécois au centre de la fameuse poutine, le vrai, celui dit « à grains » chez nos cousins, s’est déniché un nom spécifique dans la Loire : Squik-Squik. Un nom et surtout une productrice en la personne de Kathleen Moore, installée depuis 20 ans à Saint-Etienne. Encouragée par les débuts de son « Atelier Québécois » implanté chez une éleveuse du Pilat il y a 3 ans, elle va le déménager pour créer un laboratoire neuf, adapté au potentiel constaté, dans la commune forézienne de Chambœuf.
L’Atelier Québécois produit du fromage à grains, le type de cheddar à répandre, entre autres, sur des frites pour en faire une poutine authentique. ©Feelmaker
« C’est sûr que ça ne fait pas vraiment honneur à la gastronomie québécoise. Ces espèces de sauces fromage au cheddar orange nappant des frites… Ce n’est pas avec ça que l’on fait une réelle poutine ! » Car il y a dans cet objectif un vrai fromage de vache, de qualité, authentique, argue Kathleen Moore : du cheddar oui mais celui dit « fromage à grains » de l’autre côté Atlantique. Cette enseignante en Anglais venue de la ville Québec, au Québec, s’est installée il y a une vingtaine d’années dans le bassin stéphanois pour y faire ménage avec un de ses habitants. Sans pour autant se délester de cette envie d’entreprendre, « depuis toujours » logée dans un coin de ses pensées tant elle est ancrée dans celle de sa famille.
Cela aura mis du temps à se concrétiser mais le fait d’en faire tout un fromage, on ne peut plus de niche, et destiné à une consommation hors plateau, ne tombait pas sous le sens. Le constat de la mode montante de la poutine, plus ou moins – plus souvent moins – bien faite en France et finalement non démentie, voire renforcée, par l’invasion russe en Ukraine (comme dirait un certain Patrick, pourquoi serait-ce à la gastronomie québécoise de lâcher l’exclusivité de son nom ?) alliée au goût de Kathleen Moore pour le vrai fromage à grains qu’elle ne manquait pas de ramener en petite quantité sous vide à chaque aller-retour entre la Loire et la Belle Province a fini par faire tilt. Et si c’était l’objet de sa première expérience entreprise ? Voilà 2021 et d’inlassables essais de son futur fromage, autant de prototypes successifs du futur « Squik Squik » auprès de son entourage à partir d’une production apprise sur le tas. Au départ en utilisant de kits type « faites le vous-même dans votre cuisine » ramenés du Québec.
« Ça fait « squick squick » sous la langue »
Kathleen Moore devant divers usages potentiels du squick squick. ©Atelier Québécois
Bien sûr, depuis, sa méthode de fabrication s’est considérablement affinée, professionnalisée grâce aux conseils et à l’encadrement avisés successifs de deux vrais maîtres fromagers – un Français lui-même rodé à sa fabrication et un Canadien – qu’elle connaissait ou avec qui elle a été mise en relation. « Un kit vous dit quand mettre les bons ferments mais ceux-ci sont en sachets, il faut les connaître. Avant d’arriver au résultat que je souhaitais, il y a eu un long cheminement. » Mars 2022 voit le lancement d’une véritable étude de marchés aux résultats probants, d’autant que la France ne compte que deux petits producteurs, et encore qui propose ce fromage parmi d’autres. Puis l’été qui suit la création d’un laboratoire au sein d’un élevage laitier bio de Marlhes dans le Pilat qui le fournit directement. « Du jour au lendemain, on est passé de 4 l de lait consommé par jour à une centaine. » La production de Squik Squik dans le cadre d’une véritable entreprise, l’Atelier Québécois, commence là.
Je souhaitais donc dissocier dans les esprits du cheddar le fromage à grains pour la poutine.
Mais au fait, pourquoi le « Squik Squik » ? « Parce que même s’il y a, chez nous au Québec, comme dans les pays anglo-saxons ou en Irlande, en réalité une grande variété de cheddars avec leur subtilité, leur couleur, leur qualité, l’image du cheddar n’est pas top ici : il est associé à ces tranches très industrielles, pas terribles que l’on retrouve emballées par petits paquets en supermarchés, sinon dans les fast food de base. Je souhaitais donc dissocier dans les esprits du cheddar le fromage à grains pour la poutine. Dans la texture, cela s’approche de la mozza et l’idée de l’appeler Squik-Squik, c’est parce qu’énormément de personnes différentes à qui je faisais goûter mes essais me disaient : « tiens, ça fait « squik squik » sous la langue. » Le fromage à grains qu’est donc Squik-Squik pour spécificité parmi la famille des cheddars de ne pas nécessiter d’affinage. Il est fabriqué à partir du lait de vache du matin pour être prêt le soir et « tenir » 24 h supplémentaires.
L’Atelier Québécois, nouvelle version en février 2026
L’Atelier Québécois va s’installer dans ces futurs locaux, zone de Granges à Chambœuf. ©M2C
« L’idée est de le consommer avec la poutine ou d’autres recettes – même si attention, il ramollit sous la chaleur mais ne fond pas – ou sinon, juste comme ça à l’apéro. » Production, livraison, prospection : Kathleen Moore est seule et le sera d’ailleurs encore quelques temps. Seule face à un potentiel croissant qui a connu un avant et un après la Foire de Saint-Etienne 2022 sur le Canada. « C’était trop tard pour intégrer un stand mais comme mon parcours et le produit étaient originales on m’a laissé ma chance pour une dégustation dans le hall lors de l’inauguration. » Bingo : Squik-Squik est repéré par un spécialiste des produits alimentaires lyonnais « La cabane a Mario ». Boutiques spécialisées, food trucks, restaurateurs sont les débouchés, tenanciers de stands aux marchés de Noël alimentent ses débouchés. « Sur la période de fin d’année, je passe à 300 kg produits par semaine contre 200 habituellement mais je ne touche pas tard, je n’en peux plus. Potentiellement, je pense que je pourrais déjà faire 600 à 800 kg hebdomadaires si je pouvais répondre à toutes les sollicitations. »
Potentiellement, je pense que je pourrais déjà faire 600 à 800 kg hebdomadaires si je pouvais répondre à toutes les sollicitations.
Plus d’un restaurant en quête de fromage à grains véritable ont l’œil sur son fromage, soucieux aussi de ne pas ou ne plus importer l’équivalent à coup de 5 000 km effectués en avion. « Il était donc temps de passer à autre chose. Surtout que tant que je n’ai pas mes propos locaux, la réglementation me cantonne mes ventes dans un rayon géographique limité. » Passer à autre chose, c’est investir environ 1 M€ dans un atelier (et bureaux) de 350 m2, dans le sud Forez, zone des Granges à Chambœuf. Les travaux signés MC2 viennent de commencer et les locaux être livrés en février 2026 si tout se passe bien. Le potentiel de production y sera d’1,2 t par semaine. Et désormais, c’est la coopérative Sodiaal qui fournira les quantités de lait nécessaire en le garantissant local, de la Loire sinon des environs immédiats mais pas bio. « Cet aspect n’a jamais été un objectif, le fait que l’exploitation de Marlhes (elle aura de quoi remplacer son départ, Ndlr) soit bio tenait plus au hasard », précise Kathleen Moore va enfin pouvoir recruter pour déléguer sur la production.
De quoi fournir à tout l’Hexagone et au-delà son Squik-Squik. Mais comment faire lorsqu’il s’agit de l’expédier très loin puisqu’il ne tient le coup que 24 h ? « Effectivement, c’est un élément important qu’il a fallu mettre au point, souligné par bon nombre des clients potentiels. Mais je suis arrivé à obtenir un processus de congélation qui n’altère ni le goût ni l’aspect et la texture. L’atelier est l’occasion d’un petit pont économique entre le Québec et la France : une partie des équipements sont faits par une entreprise locale, d’autres plus spécifiques par des Québécois. Nous conservons la livraison directe du frais tandis l’expédition du congelé sera fait par une société spécialisée. » Pour finir, ça aussi, c’est tout frais : armé de ses nouvelles certitudes, Squik-Squik vient de signer avec le réseau ligérien de restauration festive qu’est le VIP et devrait être bientôt sur ses cartes.