Immersion dans l’intimité des personnes LGBTQIA+, entre un pays où l’homosexualité est punie de prison, et un autre où le mariage entre personnes du même sexe est légal.

L’herbe est-elle plus verte ailleurs ? C’est la question que s’est posée la photographe Rachel Seidu. Nigériane et queer dans un pays qui punit d’emprisonnement l’homosexualité et la transidentité, la jeune artiste, qui centre son travail sur les thèmes du genre, de la sexualité et de l’intimité, a été invitée en résidence dans la communauté queer lilloise. Une façon de croiser portraits et moments d’intimité dans des communautés queers aux marges de liberté radicalement différentes. Et de se rendre compte que, même dans les lieux réputés comme sûrs, la notion de liberté reste toute relative. De cette résidence est née l’exposition « Peas in a pod* », visible du 19 septembre au 20 décembre 2025, au Théâtre du Nord de Lille et organisée par l’Institut pour la photographie de Lille.

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« Le projet « Peas in a Pod* » est né d’une curiosité et d’un besoin personnel – étant une Nigériane queer, j’ai souvent entendu dire que la vie serait meilleure « là-bas », que toutes les difficultés disparaîtraient en quittant le Nigéria. C’est un espoir auquel beaucoup d’entre nous s’accrochent, parfois désespérément. Mais lorsque j’ai commencé à voyager, à parler avec d’autres personnes queers et à documenter leur vie à travers la photographie, j’ai réalisé que la liberté ne nous est jamais totalement offerte – pas même dans les espaces considérés comme sûrs », déroule Rachel Seidu.

Same Sex Marriage Prohibition Act et humiliations publiques

Née en 1997, la photographe nigériane immortalise, à Lagos, les instants d’intimité heureux de la communauté queer. La douceur de ses images contraste largement avec le traitement des personnes LGBTQIA+ au Nigéria, où l’homosexualité est considérée comme un crime. Depuis le Same Sex Marriage Prohibition Act (SSMP) promulgué en 2014, l’homosexualité est punie d’une peine de 10 ans de prison, étendue à 14 ans en cas d’union.

Les démonstrations affectives entre personnes du même sexe sont elles aussi punies par la loi, tandis que cette hostilité est aussi nourrie par la population nigériane, dont près de la moitié se déclare en faveur du du SSMP – un chiffre toutefois en déclin puisqu’un an après sa promulgation, 77 % des répondants soutenaient la loi. Une part homophobe de la population alimente quant à elle à une autre forme de violence, le « kito », qui consiste à créer de faux profils ouvertement homosexuels sur les réseaux sociaux pour débusquer, violenter, humilier et extorquer leurs victimes.

Faire la lumière sur les espaces de résistance

Dans ce contexte violent et oppressant, Rachel Seidu capture les espaces de résistance, dont la scène ballroom, où les communautés queers trouvent de minces filets de liberté dans lesquels exister, aimer et faire famille. En parallèle, l’artiste a exploré la scène LGBTQIA+ de Lille durant deux semaines et est allée à la rencontre de la scène drag, de personnes queers racisées, de couples lesbiens et gays… Au plus près de ses sujets, qu’elle raconte dans des portraits lumineux, la photographe a eu l’opportunité de saisir des différences, mais aussi des similitudes entre ses deux terrains d’investigation :

« En France comme au Nigéria, les personnes queers se créent des espaces de sécurité, restent profondément attachées aux familles qu’elles se sont choisies et font face à des microagressions ainsi qu’à des problèmes structurels qui ne disparaissent pas comme par magie avec un visa. Il y a aussi une tendresse partagée : le fait que les gens prennent soin les uns des autres, que la joie devienne une forme de résistance et que nos vies ne s’arrêtent pas à cause de la douleur. Au Nigéria, la survie prend souvent une forme plus « bruyante ». En France, elle est plus discrète, mais bien présente. La pression de la norme et les peurs intériorisées ne disparaissent pas simplement parce que l’on franchit une frontière. »

Le projet « Peas in a pod* », que l’on peut traduire par « Comme deux gouttes d’eau », met ainsi en parallèle des vécus queers dans deux contextes politiques et sociaux radicalement différents. Et la photographe nigériane compte bien ajouter d’autres gouttes d’eau à son projet, en allant photographier d’autres communautés, comme à Berlin, à Johannesburg et à São Paulo. « Je souhaite que ce projet soit perçu comme un dialogue à l’échelle mondiale, qui ne porte pas uniquement sur les difficultés, mais aussi sur la tendresse et la résilience – sur ces petits rituels et ces communautés qui nous permettent de continuer à avancer, où que nous soyons ».

L’exposition « Peas in a pod* » de Rachel Seidu est visible au Théâtre du Nord de Lille, et organisée par l’Institut pour la photographie de Lille, du 19 septembre au 20 décembre 2025.

Konbini, partenaire de l’Institut de la photographie.