INTERVIEW – Souveraine dans La Tour de glace, intense dans la saison 4 de The Morning Show, la star à performances, ambassadrice Chanel, se confie.

Elle fait et défait machinalement sa coiffure, petit chignon flou, s’assoit en tailleur sur sa chaise, change de position, enlace ses genoux. Son regard part à droite, se pose, repart à gauche, inapaisé papillon. Marion Cotillard, sur l’écran vidéo de notre conversation Zoom, est l’inverse de la froideur glamour hollywoodienne que les Américains aiment lui voir jouer au cinéma. Une femme sylphide, leste, fine et gracieuse, presque une fée clochette, ne serait-ce le brun intense des cheveux, qui fait ressortir le bleu des yeux. À 49 ans, et l’air d’en avoir 30, elle ne joue pas de l’aura de star internationale qu’elle est depuis son Oscar de la meilleure actrice décroché en 2008 pour La Môme, d’Olivier Dahan. Sa carrière américaine aligne les noms des réalisateurs les plus prestigieux, de Steven Soderbergh à Tim Burton en passant par Ridley Scott, Woody Allen, James Gray, Christopher Nolan, tandis qu’en parallèle, doublement césarisée, elle poursuit un chemin exigeant chez les grands noms du cinéma d’auteur, Jacques Audiard, les frères Dardenne, Xavier Dolan, Leos Carax, Arnaud Desplechin…

On la rencontre l’avant-veille de l’annonce, par communiqué, de sa séparation d’avec Guillaume Canet, «après dix-huit années de vie commune». L’acteur ne sera évoqué qu’à la fin de l’entretien, avec une nuance de gêne. Marion Cotillard n’évite pas les questions intimes, mais parle plus volontiers du passé, des traumatismes de l’enfance, thème sous-jacent du film La Tour de glace, de Lucile Hadžihalilović, en salles le 17 septembre. Dans ce conte enchanté à la lisière du fantastique, elle incarne Cristina, «grande actrice» des années 1970, diva tyrannique, qui joue la Reine des neiges dans le film à l’intérieur du film. Ce même mercredi 17 septembre, Marion Cotillard fait aussi son entrée parmi les personnages principaux d’une des séries américaines les plus renommées du moment, The Morning Show, dont Apple TV+ diffuse le premier épisode de la saison 4. En vamp fatale, carré brun cranté et tenues à la pointe de la mode, elle est Céline Dumont, riche femme d’affaires devenue présidente du conseil d’administration de la chaîne de télévision UBN, chargée des décisions stratégiques. Deux rôles de femmes à la fois puissantes et blessées pour lesquels la comédienne s’est plu à explorer des facettes encore peu défrichées de son talent.


Passer la publicité

Madame Figaro. – Dans La Tour de glace, vous incarnez une femme inquiétante, tyrannique. Vous vous êtes aimée dans cette image-là ? 
Marion Cotillard. – Oh, mon jugement sur mon travail, je ne saurais pas vous dire, c’est presque trop personnel. Mais j’étais heureuse d’aborder des traits de personnalité que j’ai peu eu l’occasion d’interpréter, ça oui. Bien sûr, j’ai déjà joué de nombreux personnages bien traumatisés… (Elle sourit.) Mais ce qui était nouveau, c’est la violence et la manipulation. Un tyran n’est jamais seulement cette image de tyran. Quand on creuse, cela prend racine quelque part. Il y a une origine à la tyrannie. J’ai beaucoup aimé aussi que le film questionne la thématique de la fascination : qu’est-ce qui résonne en nous quand on est fasciné ? Jeanne, la jeune fille interprétée par Clara Pacini, est aimantée par Cristina, cette image de star de cinéma inaccessible. Cristina retrouve chez Jeanne celle qu’elle était plus jeune. Qu’est-ce qui nous rapproche de nous-même dans la fascination que l’on éprouve pour d’autres, et qu’est-ce qui au contraire peut nous en éloigner ? Le film raconte la libération d’une emprise, ça aussi ça me plaisait.

J’ai beaucoup aimé aussi que le film questionne la thématique de la fascination : qu’est-ce qui résonne en nous quand on est fasciné ?

Marion Cotillard

Beaucoup d’acteurs disent la difficulté de jouer la violence, est-ce que ça a été compliqué pour vous ? 
Oui, aller chercher ça en soi, c’est particulier. D’autant que j’ai l’impression, dans ma vie, d’avoir suffisamment visité mes traumatismes pour ne pas ressentir ce besoin de faire du mal aux autres. Une personne qui fait du mal, c’est quelqu’un qui n’a pas surmonté ses peurs, ses colères, ses frustrations. Quand des traumatismes vous construisent une personnalité enfermée dans la colère, on peut chercher à blesser les autres, parce qu’on pense que sortir le mal de soi et le déposer sur quelqu’un va nous en libérer. Évidemment, c’est illusoire. Et c’est déstabilisant à jouer, car je suis convaincue du contraire : la seule façon de se libérer du mal est d’y faire face seule, avec soi-même.

Vous, êtes-vous parvenue à cette libération ? 
Je suis en chemin, Madame. (Elle rit.) Mais on n’est pas encore arrivé à destination. J’ai fait de l’EMDR (Eye Movement Desensitization and Reprocessing, thérapie qui vise à guérir les traumatismes psychiques, NDLR), mais ça, c’est plutôt les gros travaux. J’ai aussi commencé un travail, pas encore approfondi, sur la mémoire cellulaire, la façon dont les traumatismes se transmettent de génération en génération. C’est une chose à laquelle je vais m’atteler dans un avenir proche.

Votre mère, qui a été battue par son père, vous a encouragée à faire ce chemin ? 
Oui, ma mère explore beaucoup. Et c’est vrai que j’ai toujours voulu faire un arbre généalogique, sans jamais me lancer. Je possède des carnets dans lesquels je rédige des listes de choses à faire, et depuis des années, j’écris, sur le prochain carnet : «Faire l’arbre généalogique.» Je ne le fais toujours pas, peut-être que je ne suis pas prête, et que quand ce sera vraiment un besoin vital, ça viendra…

Devenir comédienne, était-ce aussi une façon d’essayer de comprendre la violence du monde ? 
Oui, j’avais besoin d’explorer l’humain dans son rapport à l’autre. Parce qu’on est un animal social et que la manière dont on se comporte, avec soi et avec les autres, a provoqué beaucoup d’incompréhension chez moi quand j’étais petite. Je pense que le moyen que j’ai trouvé d’avoir des réponses, c’est d’être actrice et d’expérimenter d’autres personnalités que la mienne. Ça a été, dès le départ, un endroit où je trouvais ma place, alors que je n’arrivais pas à la trouver dans la vie de tous les jours. La première fois que j’ai joué, en colonie de vacances, nous donnions un spectacle où j’étais une concierge d’immeuble. J’ai été transportée. Et j’ai vu l’effet sur les autres, ce que ça a provoqué comme reconnaissance… Alors que j’étais une enfant plutôt sur le côté, qui n’était pas regardée comme quelqu’un de cool, ni d’intéressant, ni de sympa même. Là, la connexion créée avec les autres, ça a été un vrai tournant.


Passer la publicité

Cette recherche de reconnaissance, votre métier l’a comblée ? 
Non, et c’est très curieux de constater que toute la reconnaissance que j’ai pu recevoir n’a pas apaisé mon besoin. Je me suis rendu compte que, finalement, la forme de reconnaissance qui guérit cette pathologie – parce que c’est une pathologie – est celle que l’on s’accorde à soi-même. J’ai compris que tant que je ne me la donnerais pas, ça ne se calmerait pas.

Vos parents, tous deux comédiens et metteurs en scène, vous ont-ils encouragée dans votre vocation ? 
Pas spécialement, mes parents voulaient juste que je sois heureuse. Mais c’est sûr qu’à la maison, dans la famille, j’étais aimée, soutenue, regardée. Le sentiment de ne pas être vue, c’était à l’école, dans les rapports sociaux. Mes parents ont toujours accordé une grande confiance à mes frères et à moi, et ça a été très fondateur. Même si, ensuite, être confrontée à un monde extérieur si différent de ma cellule familiale a été déstabilisant. J’avais les parents que tout le monde voulait avoir. On avait une liberté magnifique.

Mes parents ont toujours accordé une grande confiance à mes frères et à moi, et ça a été très fondateur

Marion Cotillard

En tant que mère aujourd’hui (d’un garçon de 14 ans et d’une fille de 8 ans, NDLR ), transmettez-vous cette liberté à vos enfants ? 
Alors, euh… (Elle sourit.) Un peu. Mais plus contenue. Parce que chez mes parents, par exemple, on pouvait dessiner sur tous les murs de l’appartement. On avait nos copains de l’immeuble – on habitait en cité, dans une tour de dix-huit étages – qui venaient dessiner chez nous sur les murs. C’était quelque chose que j’adorais et, évidemment, j’avais envie d’offrir ça à mes enfants. Donc chez nous, ils peuvent dessiner sur les murs de leur chambre, et à l’intérieur des placards dans le reste de la maison…

Votre autre actualité, c’est votre arrivée dans la saison 4 de The Morning Show. Tourner une série américaine, vous avez apprécié ? 
Oui, parce que j’aime les nouvelles expériences, plonger dans l’inconnu. J’ai l’habitude de faire un gros travail de préparation pour mes personnages, de savoir d’où ils partent et où ils vont… Or là, on a dû commencer le tournage en ayant seulement lu quatre épisodes sur les dix, ne sachant pas du tout ce qui allait se passer dans les six autres… Avec parfois, en arrivant le matin sur le plateau, des répliques qui avaient changé… À un rythme très soutenu, dans une langue qui n’est pas ma langue maternelle. Ça a testé ma capacité d’adaptation. Jusqu’à la rupture. Ça m’a fait flancher.

Que voulez-vous dire par «flancher» ? 
Il y a une réplique que, je crois, je n’ai jamais réussi à dire. Dans un contexte où j’étais face à trois cents figurants. C’était carrément… c’est humiliant. Je ne l’avais jamais vécu de ma vie. Je suis tombée du vélo plusieurs fois. Il a fallu que je me relève. Je ne sais pas si je vais réussir à regarder la série tellement j’ai peur.


Passer la publicité

Vous avez peur de vous voir à l’écran ? 
Oui. Je pense que dans ce métier, c’est une des choses les plus difficiles. Il y a des acteurs qui ne regardent jamais leur travail. Je me suis demandé si ce n’était pas ce que j’allais finir par faire car franchement… je les comprends. Jusqu’ici, j’ai toujours voulu voir les films par respect pour les réalisatrices et réalisateurs avec qui je travaille, mais je ne jugerai jamais ceux qui ne le font pas, je sais à quel point ça peut être douloureux de découvrir une chose sur laquelle on n’a plus aucun pouvoir. Et qu’on a faite il y a un an.

Se regarder à l’écran ? C’est une des choses les plus difficiles

Marion Cotillard

Le temps qui passe est-il une chose angoissante ? 
Évidemment. Et puis ça n’existe pas, dans la vraie vie, de se voir en si gros plan. De s’observer vieillir, d’observer cette évolution, cutanée, hein, parce que c’est quand même de cela qu’il s’agit. (Elle rit.) J’aimerais faire partie de ces actrices qui n’ont aucun problème avec ça, hélas ça n’est pas quelque chose que j’apprécie pleinement.

Le 21 octobre va sortir Karma, le sixième film réalisé par Guillaume Canet dans lequel vous jouez… 
Le sixième, déjà ?! Je n’aurais pas cru tant. Mais oui, on aime travailler ensemble. C’est un réalisateur exceptionnel et un très grand directeur d’acteurs. Sans doute car il est acteur lui-même, qu’il connaît l’expérience de l’intérieur. Il m’a offert un rôle dans un film qui, je pense, va être sublime et il a réalisé un de mes plus grands rêves : tourner avec Denis Ménochet, la crème de la crème des acteurs.

Le fait d’avoir un lien intime, hors plateau, il faut en faire abstraction ou bien ça nourrit la création ? 
Je ne sais pas, on ne se pose pas la question. Je sais qu’il aime mon travail. Et moi, j’adore être dirigée par lui, j’ai une admiration sans bornes pour lui en tant que réalisateur. Donc, ça suffit à ce que cela fonctionne. 
La Tour de glace, de Lucile Hadžihalilović. Sortie le 17 septembre. The Morning Show, saison 4, à partir du 17 septembre sur Apple TV+.