Dans le baromètre annuel dévoilé ce jeudi 11 septembre par Ipsos, la hausse de la pauvreté en France semble marquer une pause en même temps que l’inflation. Mais sur le terrain, bénévoles associatifs voient toujours les demandes affluer. Un Français sur cinq se considère toujours en situation de précarité. Reportage sur un lieu de distribution du Secours populaire de Montpellier.

La file d’attente est encore interminable, ce jeudi matin, au marché solidaire du Secours populaire de Montpellier. Près d’une centaine de bénéficiaires viennent chaque jour récolter un panier alimentaire mensuel qui améliore un peu un quotidien incertain. Beaucoup de retraités, de femmes seules ou flanquées de poussettes, beaucoup de jeunes aussi… La crise épargne peu de profils dans la cohorte de ceux qui souffrent et qui ont faim, frappés par cette précarité qui a été l’un des principaux carburants, la veille, du mouvement « Bloquons tout ».

Nous avons de plus en plus d’actifs mais qui ne gagnent pas assez pour subvenir à leurs moyens primaires.

« De plus en plus de salariés sur le qui-vive »

« Il faut parfois désamorcer un peu de colère chez les nouveaux bénéficiaires, qui viennent chercher ici plus qu’un panier de victuailles, explique Fabien Albert, secrétaire général du Secours populaire de l’Hérault. On ressent ce besoin de parler, d’un espace pour libérer la parole. » Alors que 74 % des Français se disent tristes ou déprimés, un tableau à remplir trône au milieu des étals avec cette question : « qu’est-ce qui te fait rire ? »

La bonne humeur distribuée sans compter par les bénévoles fait de ce passage douloureux une parenthèse éclairée au cœur d’un long tunnel. Le dernier baromètre de la pauvreté dévoilé ce jeudi 11 septembre par Ipsos (pour le Secours populaire) dévoile certes une légère baisse de la précarité en 2025, en lien avec un palier de l’inflation (+ 0,9 %) et une hausse du pouvoir d’achat et des salaires (+ 2,5 %). Mais sur le terrain, les demandes ne cessent d’affluer.

24 % des Français ont déjà sauté un repas par souci d’économie

Après deux années de hausse significative liées à une inflation galopante, le nombre de personnes se déclarant en situation de précarité en France a baissé en 2025 selon le baromètre annuel de la pauvreté Ipsos – Secours populaire dévoilé ce jeudi.

Quatre points de moins mais encore 20 % de personnes en situation de précarité, et toujours 20 % des enfants vivant dans un foyer en dessous du seuil de pauvreté monétaire, établi à 1216 € pour une personne seule.

Selon ce sondage d’Ipsos, 15 % des personnes interrogées déclarent avoir du mal à boucler leur budget, 48 % ne peuvent pas mettre d’argent de côté, 60 % disent avoir renoncé à des sorties, 49 % éprouvent des difficultés à financer des vacances, 39 % à payer leurs factures d’énergies, 31 % à se soigner. Pire, 24 % des sondés déclarent avoir déjà sauté un repas alors qu’ils avaient faim. Un chiffre toutefois en baisse de 5 % par rapport à 2024.

Des chiffres toujours révélateurs d’une grande précarité.

Des chiffres toujours révélateurs d’une grande précarité.
Midi Libre – Sophie Wauquier

« Nous sommes passés cette année à 11 000 bénéficiaires sur Montpellier, 32 000 sur l’Hérault, soit 4000 de plus en un an, avec quasiment un quart de jeunes, confirme Fabien Albert. Nous avons de plus en plus d’actifs mais qui ne gagnent pas assez pour subvenir à leurs moyens primaires. Nous avons de moins en moins de classe moyenne à l’aise au quotidien, de plus en plus de salariés sur le « qui-vive ». Et la descente est, hélas, souvent bien plus rapide que l’ascension sociale. »

Enseignant, entrepreneur, puis la dégringolade…

Illustration parfaite de ce type de chute brutale, Alan (*) accepte de raconter sa trajectoire de multidiplômé, plusieurs masters en poche, obligé de repartir d’une page blanche. Enseignant en économie dans le privé, il monte ensuite une SARL dans le hors d’air (portes, fenêtres) qu’il décide de fermer quelques années plus tard « parce que ce monde n’était pas fait pour moi, trop généreux… »

Obligé de passer par la case « contractuel » pour reprendre l’enseignement, il subit de plein fouet la précarité de ce statut : « maltraitance salariale, six ans d’attente pour espérer une titularisation, ballotté géographiquement. » Le divorce est la bourrasque de trop qui précipite sa chute sur fond d’endettement. Blacklisté depuis trois ans par les administrations, en fin de droits, il a fini par franchir le pas douloureux de l’aide associative, poussé par son assistante sociale.

« Vous n’allez plus chez vos amis »

« À 30 % sous le seuil de pauvreté et avec un enfant à charge, je n’avais plus le choix, soupire-t-il. Le plus dur, c’est ce sentiment de déclassement, le regard des autres et puis l’isolement induit par la pauvreté. Sortir vous coûte. Boire un café en terrasse devient une dépense superflue. Vous n’allez plus chez des amis par honte de ne pas pouvoir amener une bouteille. Le combat le plus dur, c’est de lutter contre cet orgueil et cette discrimination de l’âge qui me frappe aussi à 56 ans. »

Encore animé d’une incroyable énergie, Alan se lance vers la quête « d’un énième diplôme » pour rebondir dans l’accompagnement social. « Les gens ici sont tous adorables, souligne-t-il, tous dans le même bateau. »

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« Nombre de nos bénévoles sont des gens aussi dans la galère, confirme Fabien Albert. Nous travaillons beaucoup l’émancipation et nous nous battons contre l’assistanat en aidant aussi à l’accès aux droits, à la santé, à la culture, au sport. Mais les temps sont durs pour les collectivités. Le département a diminué notre aide de 20 %, la ville de Montpellier aussi. Nous partageons ce que nous avons. » Dans ce contexte la grande collecte alimentaire du 11 octobre s’annonce d’autant plus cruciale, alors que le Secours populaire vient de fêter ses 80 ans.

(*) Le prénom a été modifié