Force est de le constater : ces élus donnent parfois l’impression de marcher sur des œufs, quand il s’agit de faire entendre un son de cloche différent. Alors que les sondages se multiplient, tendant à démontrer un vrai élan de la population alsacienne pour une sortie du Grand Est, des personnalités comme Jeanne Barseghian, la maire écologiste de Strasbourg, Michèle Lutz, la maire LR de Mulhouse ou Pia Imbs, maire de Holtzheim et présidente de l’Eurométropole de Strasbourg, n’ont pas hésité l’an dernier à prendre la plume pour envoyer une lettre au Président de la République. La méthode est discrète, mais l’objectif était clair : montrer que l’Alsace n’est pas à l’unisson sur la question.
La crainte d’un affaiblissement institutionnel
Dans cette lettre, les maires affirment que « l’avenir de nos territoires passe par une région Grand Est forte, visible et crédible » et non par une Alsace isolée. Ils demandent à l’exécutif de « mettre fin aux incertitudes institutionnelles » qui fragilisent les collectivités. Leur message s’oppose frontalement aux positions de la CEA, qui revendique l’appui de sondages favorables à une sortie. La voix de Strasbourg, portée par Jeanne Barseghian, a une résonance particulière.
© Strasbourg eu
Elle rappelle que « l’ancrage européen de notre métropole se nourrit de la dynamique d’une grande région » et qu’un affaiblissement institutionnel pourrait nuire au rôle de capitale européenne. À Mulhouse, Michèle Lutz insiste sur l’efficacité d’une grande région pour traiter des dossiers lourds comme les transports ou la santé. « Le débat permanent sur l’avenir institutionnel de l’Alsace fragilise nos collectivités et brouille le message envoyé à nos partenaires. »
Le pragmatisme face au discours identitaire
Ces positions ne nient pas l’identité alsacienne, mais rappellent l’importance d’une échelle plus vaste pour peser dans les négociations avec Paris et Bruxelles. Les élus mettent en avant les bénéfices concrets de la coopération régionale : financements européens, coordination hospitalière, projets d’infrastructures. Ils craignent qu’un retour en arrière n’entraîne perte d’influence et complexité administrative accrue. Face au projet porté par Frédéric Bierry et la CEA, ces maires privilégient les attentes quotidiennes des habitants : logement, emploi, transition écologique. « Nos concitoyens attendent des réponses concrètes aux défis quotidiens. Nous ne pouvons pas détourner notre énergie dans des querelles institutionnelles », rappellent-ils.
« L’ancrage européen de notre métropole se nourrit de la dynamique d’une grande région. »
Extrait du courrier envoyé à Emmanuel Macron par les maires du Grand Est.
La lettre insiste sur la nécessité de stabilité et de lisibilité : « La stabilité et la lisibilité de nos institutions sont des conditions essentielles pour préparer l’avenir. » Pour le président de la Collectivité européenne d’Alsace, Frédéric Bierry, ces quelques élus pèsent peu dans le débat : « Il y a 900 élus alsaciens qui ont signé notre manifeste pour la sortie du Grand Est, ça a grand sens. Alors après, vous avez quelques maires de grandes villes qui ne veulent pas que la collectivité prenne trop de poids. C’est vrai, quand on voit Strasbourg, Mulhouse, on se dit que ce sont des villes qui jouent la division, pour pouvoir peser plus. » Derrière l’image d’une Alsace unanime pour quitter le Grand Est, une autre voix existe, celle des grandes villes. Leur appel au président de la République en 2024 rappelle que le débat est loin d’être clos et que l’avenir institutionnel de l’Alsace n’est pas écrit d’avance.
André Reichardt : la démission qui en dit long
C’est un signal fort envoyé à tous ceux qui douteraient encore que la question de la sortie de l’Alsace du Grand Est reste au centre des préoccupations de l’autre côté des Vosges. Le sénateur du Bas-Rhin André Reichardt (apparenté LR) a annoncé sa démission le 5 septembre, effective à la fin du mois. Un geste rare, motivé par ce qu’il dénonce comme « l’absence totale de considération – pour ne pas dire le mépris – des plus hautes autorités de l’État à l’égard de la demande de retrouver une Région Alsace hors du Grand Est ». La goutte d’eau : la réponse de l’Élysée à un courrier cosigné par 12 parlementaires alsaciens, demandant une relance du sujet après la publication en juin dernier d’un nouveau sondage révélant que 72 % des Alsaciens seraient favorables à la sortie de l’Alsace du Grand Est. Une réponse qualifiée de « dilatoire mais vexatoire », car renvoyant le dossier au ministre François Rebsamen, loin selon lui des vrais centres de décision. Âgé de 75 ans, sénateur depuis 2010, André Reichardt laisse son siège à Marc Séné, maire de Sarre-Union. En claquant la porte du Sénat, il veut lancer un signal politique : secouer Paris et rappeler que la revendication d’une Alsace à part entière reste vive, au-delà des clivages partisans.