Des guerres de religion aux conflits asymétriques du 21e siècle en passant par la Guerre de Sécession, l’ouvrage Sortir de la guerre relate en détail comment, peu à peu, les armes se sont tues. Coordinateur d’une équipe de douze historiens français et étrangers, Guillaume Piketty, directeur du Centre d’histoire de Sciences Po à Paris, replace les conflits actuels, Russie-Ukraine et Hamas-Israël, dans une dimension historique.
Commencer une guerre semble bien plus facile que d’y mettre fin. Pourquoi ?
« Quand on décide de faire la paix, il faut le faire vraiment, désarmer les va-t-en guerre, les éloigner du pouvoir. L’arrêt des combats est donc un processus plus long qu’on ne le pense a priori. La signature d’un cessez-le-feu est rarement suivie d’effets immédiats. Cette période est souvent violente pour les combattants – les vainqueurs comme les vaincus –, pour les civils, l’environnement, les infrastructures, l’économie… Toute guerre continue d’imprégner durablement les corps et les esprits. »
Peut-on comparer la guerre en Ukraine à un autre conflit ?
« Elle peut faire penser à la Première Guerre mondiale, avec les tranchées et un front qui, quoiqu’en disent les Russes, bouge peu. Ce qui est sûr, c’est que, comme à cette époque, les Ukrainiens vont vivre pendant des années, voire des décennies, une très lente et douloureuse sortie de guerre. C’est quasiment inévitable. »
Et Gaza ?
« C’est difficile de trouver un équivalent, mais on peut se référer à la Guerre de 30 ans (ayant opposé les puissances européennes entre 1618 et 1648), qui a provoqué des massacres et des destructions systématiques. Il a fallu des années aux habitants des régions dévastées pour parvenir à faire mieux que survivre. Mais la guerre de Gaza s’apparente aussi à un conflit asymétrique, dans lequel les prétendus faibles peuvent continuer à combattre éternellement, à condition qu’ils aient accès à quelques armes. »
Pourquoi considérez-vous que sortir d’une guerre n’a jamais été aussi complexe ?
« Parce que les capacités d’armement sont infiniment plus importantes qu’elles ne l’ont jamais été. Cela rend la possibilité de reprendre les hostilités bien plus facilement. De plus, aujourd’hui, tout le monde sait tout sur tout en permanence : il est donc infiniment plus aisé de rallumer les braises.
« Par ailleurs, la figure de la victime est devenue omniprésente : ce ne sont plus les héros que l’on célèbre mais les victimes. Je ne dis pas que c’est bien ou mal, mais la célébration de la victime fait basculer dans l’émotion. Avec le côté vertueux de la reconnaissance de la souffrance, mais aussi le risque qu’elle entraîne l’appel à la vengeance. Et c’est en ce sens qu’on peut dire que ce qui se déroule en Ukraine et à Gaza est porteur de prolongations très longues, car la haine et la volonté de se venger vont évidemment perdurer. »
Donald Trump a récemment affirmé avoir mis fin à six guerres en six mois. Est-ce crédible ?
« S’il considère que mettre fin à une guerre, c’est obliger les dirigeants des pays belligérants à se mettre autour d’une table et à signer un cessez-le-feu, on peut considérer que, peut-être, il est parvenu à faire avancer les choses. Mais quelle est la sincérité des acteurs ? Quelle est la réalité sur le terrain ? Comme d’habitude avec Donald Trump, on peut considérer qu’il s’agit avant tout de communication. »
« Sortir de la guerre », sous la direction de Guillaume Piketty, coédition Passés/Composés – Ministère des Armées.