Du 10 septembre 2025 au 26 janvier 2026, la Bourse de Commerce consacre à Lygia Pape (1927-2004) sa première exposition personnelle en France.
Tisser l’espace, première rétrospective personnelle de l’artiste brésilienne en France. Cette exposition d’ampleur rassemble des œuvres fondatrices, des gravures abstraites des années 1950 jusqu’aux installations lumineuses et performances des dernières décennies, affirmant combien Pape a repensé l’objet artistique comme expérience, relation et matière. Figure majeure du néoconcrétisme brésilien, Pape interroge avec une intensité rare la nature même de l’œuvre d’art : est-elle objet, expérience, ou bien passage ?
Le titre de l’exposition, Tisser l’espace, traduit la clé de voûte de l’œuvre de Lygia Pape : l’art n’est pas seulement un médium plastique, mais un mode de relation au monde. Dès ses premières gravures, l’artiste déplace le regard : la géométrie devient souffle, les formes géométriques se tendent vers une ouverture, les pages de ses Livros se transforment en surfaces manipulables, fragmentées, réarrangeables.
Lygia Pape en 1990
Mais c’est surtout dans l’expérience immersive que se révèle la cohérence du parcours conçu à la Bourse de Commerce. Dans la pénombre, le visiteur est saisi par les faisceaux lumineux de Ttéia, installation magistrale de fils métalliques qui se déploient comme une architecture intangible. La lumière, captée et diffractée, dessine des volumes mouvants qui n’existent que par le déplacement du regard. Le spectateur ne contemple plus une œuvre : il en devient l’interlocuteur.
L’exposition à la Bourse de Commerce : un parcours initiatique
Cette première exposition personnelle de Lygia Pape en France rassemble des pièces fondamentales à sa pratique, depuis ses premières gravures abstraites jusqu’à son majestueux Livro Noite e Dia III [Livre de la Nuit et du Jour III] (1963-1976) ainsi qu’une sélection de ses films expérimentaux. Imprégnée du contexte socio-politique du Brésil, l’œuvre de Lygia Pape se fait le reflet d’un engagement profond envers la transformation sociale, où la frontière entre l’art et la vie est constamment réinterprétée. « Tisser l’espace » rend hommage à sa volonté de créer une nouvelle forme d’engagement du spectateur, tout en réinventant le langage même de l’art.
Tecelar
La scénographie exploite pleinement la rotonde de la Bourse de Commerce et son système de circulations concentriques. L’entrée introduit les premières expérimentations graphiques et cinétiques des années 1950, où l’on sent déjà le désir de Lygia Pape de s’affranchir de la surface bidimensionnelle. Puis, au fil des salles, le parcours se fait plus sensoriel : les œuvres sortent du cadre, engagent le volume et sollicitent le corps.
Relevo
Au cœur de la rotonde, l’expérience prend une dimension presque sacrée. Ttéia, installée sous la coupole, dialogue avec l’architecture circulaire du monument. Les fils dorés, suspendus comme des rayons tangibles, semblent prolonger la lumière zénithale et inscrire l’œuvre dans une cosmologie. On ne regarde pas : on circule, on frôle, on éprouve. Cette immersion, faite de silence, de vibrations et d’intensité lumineuse, transforme le spectateur en pèlerin d’un temple contemporain.
Ballet Neoconcret
Autour de ce centre, l’exposition se déploie comme une constellation : d’un côté, les Balés Neoconcretos, livres et dispositifs participatifs où la page devient chorégraphie ; de l’autre, les installations vidéo et les œuvres tardives, où Pape explore la matière de la lumière elle-même. La progression est pensée comme un crescendo : des gravures fermées aux faisceaux ouverts, de l’objet au flux, du concret au cosmique.
Manto Tupinambá
Le choix curatorial est clair : faire sentir au public que Lygia Pape a inventé une syntaxe qui ne sépare jamais l’intime du collectif, ni l’art de la vie. En témoigne la présence de la performance Divisor, activée en extérieur, qui prolonge l’exposition dans l’espace urbain et réaffirme la dimension sociale de son œuvre.
Œuvrant sous la dictature brésilienne, Lygia Pape a développé une esthétique qui était aussi une éthique : ouvrir, partager, inviter. Ses œuvres contiennent cette tension entre contrainte et liberté, solitude et lien. Divisor (1968) incarne cette politique du sensible : une immense toile blanche, percée de trous pour laisser passer les têtes, relie les participants dans un geste collectif. À Paris, dans les rues autour des Halles, la pièce devient une métaphore de notre condition urbaine : comment avancer ensemble, malgré les divisions et les forces de dispersion ?
La dernière partie de l’exposition témoigne de l’évolution de Lygia Pape vers une esthétique de la lumière et du cosmos. Les installations tardives, jouant sur des rayons, des ombres et des vibrations, s’inscrivent dans une métaphysique implicite. Loin du minimalisme froid auquel elles pourraient être associées, elles révèlent une intensité organique : la lumière comme principe vital.
En cela, la Bourse de Commerce, avec son architecture circulaire et sa coupole, devient un véritable amplificateur : l’espace monumental fait résonner l’œuvre comme une expérience cosmologique.
Cette rétrospective marque une étape décisive : elle inscrit enfin Lygia Pape au panthéon des avant-gardes internationales, et rappelle le rôle pionnier du néoconcrétisme brésilien dans la redéfinition de l’art au XXe siècle. L’exposition ne se contente pas de présenter des pièces : elle propose un parcours initiatique, une expérience qui transforme la perception même du spectateur.
En filigrane, Tisser l’espace invite à réfléchir à ce que l’art peut encore offrir : une mise en relation, une expérience du commun, une ouverture au sensible. Lygia Pape nous rappelle que la beauté ne réside pas dans l’objet, mais dans l’acte de lier — espace, lumière, corps et communauté.
Le néoconcrétisme, une révolution brésilienne
Née en 1927 à Nova Friburgo, morte en 2004 à Rio de Janeiro, Lygia Pape est, aux côtés de Lygia Clark et Helio Oiticica, l’une des figures les plus importantes de l’avant-garde artistique brésilienne de la seconde moitié du 20e siècle qui envisage l’art, non plus comme un objet fini et abouti, mais comme une présence sensorielle qui interagit avec les sens et la conscience des visiteurs.
Le travail de Lygia Pape s’inscrit dans le mouvement néoconcret, né à Rio de Janeiro en 1959. Aux côtés de Hélio Oiticica et Lygia Clark, elle contribue à une redéfinition radicale de l’art : de l’objet fermé à l’expérience ouverte. Là où l’abstraction concrète privilégiait la rigueur et la rationalité, le néoconcrétisme réintroduit la subjectivité, le geste et la relation.
Ce mouvement n’a pas seulement transformé l’histoire de l’art brésilien : il a anticipé des pratiques aujourd’hui centrales — installations immersives, performances participatives, œuvres in situ.
Bibliographie sélective
- Brett, G. (éd.). Lygia Pape. Cosac & Naify, 2004.
- Pape, L. Livro da criação / Book of Creation. Proyecto Lygia Pape / Hauser & Wirth, 2011.
- Mosquera, G., & Pape, P. Lygia Pape: A Multitude of Forms. MoMA, New York, 2009.
- MAM Rio. Lygia Pape: Espaço imantado. Museu de Arte Moderna do Rio de Janeiro, 2000.
- Ramírez, M. C., & Olea, H. Inverted Utopias: Avant-Garde Art in Latin America. Yale University Press, 2004.
- Daniel, M. « Lygia Pape, entre expérimentation et participation ». Critique d’art, no. 50, 2018.
Informations pratiques
Exposition : Lygia Pape. Tisser l’espace
Dates : du 10 septembre 2025 au 26 janvier 2026
Lieu : Bourse de Commerce — Pinault Collection
Adresse : 2, rue de Viarmes, 75001 Paris
Horaires : tous les jours de 11h à 19h, sauf le mardi (fermé). Nocturnes ponctuelles le vendredi et le premier samedi du mois.
Tarifs : plein tarif 14 €, réductions pour étudiants, 18-26 ans, gratuit pour les moins de 18 ans.
Accès : Métro Louvre–Rivoli, Châtelet – Les Halles, bus et stationnement à proximité.
Commissariat : Emma Lavigne, directrice et conservatrice générale de la Collection Pinault, avec Alexandra Bordes, responsable de projets curatoriaux chez Pinault Collection
Copyright : Projeto Lygia Pape