Lorsque la mer déferle, les vagues s’écrasent contre les murs. Paysage de carte postale, la Méditerranée peut aussi lâcher des vagues furieuses. Ici, quand le mistral tempête, la côte est submergée.

Sur la plage du Rayolet à Six-Fours, le littoral tient tant bien que mal. Et à certains endroits, plutôt mal. Des murs se fissurent, des terrains se creusent. « En raison des affouillements exercés par le ressac de la mer, certains murs riverains de la Plage du Rayolet sont effectivement touchés par l’érosion », constate la mairie. Plus encore, c’est tout un bord de mer qui se transforme.

Le littoral s’est hérissé de murs. Plus le niveau de l’eau monte, plus le béton et la pierre se dressent en barricade. Logiquement, chacun délimite son terrain et tente de le garder entier. Mais pour tenir la place, certains s’en remettent à des solutions aberrantes.

« La mer casse les pierres et ils mettent de la mousse? »

« Regardez, ils ont injecté de la mousse, il y a quelques semaines », soufflent deux riverains ébahis. Mireille passe en marchant dans l’eau, « je suis randonneuse », et s’exclame: « C’est de la pollution ce polystyrène, une honte! » Virant à l’orange, la mousse expansée coulée à la verticale n’a pas tenu longtemps.

Une retraitée sous un grand chapeau mauve en témoigne. « Ils étaient six ouvriers, je les ai comptés. La mer casse les pierres et eux, ils mettent de la mousse? » Elle a vu quand la mer s’est couverte des morceaux disloqués. « Ça flottait partout, comme si plein de bouts de glacière flottaient. Ça me choque. »

La mairie admet « avoir envoyé des agents municipaux pour ramasser les morceaux dans l’eau et sur la grève ». Sur le poste de secours, il est encore griffonné au Stabilo bleu: « Merbelle. Baignade interdite!! Pollution polystyrène. » En fait, il s’agit probablement de polyuréthane. Un dérivé pétrochimique, qui n’a rien à faire dans l’eau de mer.

Pour le maire de Six-Fours, « ces billes de polystyrène ont été retirées. En termes de bactériologie, l’eau était parfaitement conforme. Donc il y a pas lieu d’épiloguer ». Jean-Sébastien Vialatte assure que « les travaux qui ont été effectués sont légaux. Le propriétaire peut reconstruire son mur à l’identique dans la mesure où celui-ci avait une existence légale. Donc il n’y a rien à dire ».

Même sur le choix des matériaux? Là, le maire s’agace. « Un permis de rebâtir a été donné, la construction s’est faite dans les normes de l’art. Il n’y aurait pas dû y avoir de billes en mer, elles ont été ramassées. Voilà, point barre. »

Parce qu’elle fut ponctuelle, la pollution serait un non-événement. Elle révèle surtout la course au mur le plus gros qui se joue ici.

Un patrimoine commun

Moins connue que Bonnegrâce ou la Coudoulière, cette anse six-fournaise ne compte plus que deux minces bandes de sable, là où il y avait jadis restaurant de plage, chaises longues et pédalos. Désormais, seuls les habitués viennent. Il faut connaître l’endroit, savoir traverser l’un des deux lotissements qui permet (encore) d’accéder à la mer (1).

« Ce qui me tient à cœur est que les Six-Fournais puissent toujours accéder à la plage, au littoral, défend Georges, un riverain. C’est un patrimoine public et commun. » Cette simple chose consensuelle, que de marcher le long de la mer, est totalement bouleversée. Plus personne ne passe au sec. Et même les pieds dans l’eau, il est interdit par arrêté municipal de se situer à l’aplomb d’un mur dont les failles grandissent à vue d’œil (voir photos ci-contre).

Pourtant, toutes celles et ceux que nous avons rencontrés témoignent de leur attachement à cette côte intimiste. Touriste de fin de saison, Pascal vient chaque année depuis 23 ans. « J’ai l’impression que l’accès est de plus en plus fermé, servi par l’argument de la dangerosité, » décrit le Stéphanois.

C’est aussi la conviction d’une Six-Fournaise, Valérie, qui énumère « les entraves au cheminement des piétons », tandis que le trait de côte « se bunkerise » et « se privatise à bas bruit ». La baie serait-elle destinée aux seules villas privées? Avec une éblouissante vue sur mer, Christophe, un riverain, regrette qu’on « ne [puisse] plus passer, c’est dangereux et acrobatique ». Sa maison à lui a la chance d’être construite « sur le rocher ».

Les posidonies, maltraitées

Benoît Massin, par contre, lutte pied à pied avec les éléments. En décembre 2024, un coup de mer a emporté une partie de son mur et un portail. De lui-même, il a décidé de les reconstruire un mètre en arrière, vers l’intérieur. Lui estime qu’on pourrait encore protéger l’ensemble du site (2).

« Pendant des décennies, par le passé, on a retiré les posidonies des plages, alors que ce sont elles qui les stabilisent », retrace le riverain. Tandis que d’autres plages six-fournaises ont été « engraissées » par des tonnes de graviers ou de sable, « il n’y a jamais eu d’ajout sur la plage du Rayolet, ni d’enrochement », plaide-t-il.

Plus loin, une villa avec étage est en chantier. Continue-t-on d’urbaniser? Non, répond le maire. « On est dans une zone avec une emprise très faible (sic). Parfois, il y a des maisons qui sont reconstruites sur l’emplacement qu’elles occupaient avant, sans emprise supplémentaire. »

Sur les cinq dernières années, un tiers des villas qui donnent sur la mer ont changé de main. L’une a été vendue 21.913 euros le mètre carré, les pieds dangereusement dans l’eau. Malgré des risques grandissants, le marché immobilier local reste aimanté par le front de mer. Coûte que coûte. 1. Une co-propriété avait muré l’accès à la mer. érigés sans autorisation, deux murs avaient été démolis, après le lancement d’une pétition en ligne. (Nos éditions des 5 et 18 juillet 2024)

2. www.sauver-la-plage-du-rayolet.fr

« Oui, il faudra reculer les murs »

Être considérée comme une ville à risque en ce qui concerne « la montée des eaux, l’érosion et la submersion », ce sera fait dans un avenir proche. Six-Fours va rejoindre le dispositif étatique nommé « décret trait de côte », ce qui permettra de retranscrire, dans les documents d’urbanisme, les points vulnérables du littoral.

Ce que cela changera? « Aujourd’hui, compte tenu des textes, je n’ai pas la possibilité d’imposer aux propriétaires de reculer, justifie le maire. Or, reculer les murs sera la seule solution. Tant que les murs sont sur la plage du Rayolet, il y a un phénomène de retour de la vague, qui aggrave la situation. »