En cette rentrée littéraire, on assiste à un raz-de-marée de récits sur la famille – parfois sur plusieurs générations – et on aurait envie de conseiller à leurs auteurs d’aller vois un psy. L’écrivaine franco-sénégalaise et membre de l’Académie royale de langue et de littérature de Belgique , Fatou Diome, elle, a toujours inscrit son Capitaine, son grand-père maternel au cœur de son œuvre.

« À la houle comme aux loups, il offrait sa vie pour la mienne »

Dans Aucune nuit ne sera noire paru chez Albin Michel (336 p., 21,90€) , l’écrivaine qui vit à Strasbourg resserre la focale sur Saliou Ndoukou Sarr – surnommé Mâma Saliou, Mâma Kôrmâma. Autant de noms pour dire, dans la tradition sérère, l’affection et le respect.

« J’avais promis que je lui consacrerai un livre, cela le faisait sourire, affirme Fatou Diome. Il m’a fallu attendre la maturation car avoir grandi et vieilli m’a permis de mieux comprendre son enseignement ». La dette morale est honorée dans la joie.

Du marin pêcheur d’une île du Saloum, au Sénégal, sérère guelwar issu d’un lignage royal, elle tient cette droiture morale, une force ornée d’un héritage spirituel qui éclaire encore sa navigation au creux des vagues du Rhin, comme face à celles plus tumultueuses de l’Atlantique. Jusqu’à ses 96 ans, l’homme est demeuré fidèle à sa vérité. Taiseux mais doté d’une parole profonde. Chanteur émérite, lutteur, bâtisseur, voyageur, défricheur de forêt, fondateur de quartiers à Niodior, un sage dont l’humanisme a forgé le caractère de sa petite-fille.

Fidélité et gratitude infinie

« Le travail donne ce qui fait les tiares : le port de tête ! Et son port de tête à lui fut mon asile et ma garde royale. À la houle comme aux loups, il offrait sa vie pour la mienne ». De ces premières phrases aux dernières, Fatou Diome témoigne d’une fidélité et d’une gratitude infinie envers l’aïeul disparu. Sans affectation mais avec tendresse. Un sentiment si méprisé dans un monde dominé par des démonstrations de testostérone. Alors que la modestie, la vulnérabilité d’aimer suppose du cran.

Le temps du récit revient sur cette année 2001, déterminante, marquée par deux deuils. Celui de sa mère, Nkoto et de son Gabriel, ce grand-père, son étoile nautique. En fait, il y a deux astres : Mâma Saliou et Aminata, la mamie-maman, qui ont élevé leur petite-fille née hors mariage. C’est aussi sa naissance en tant qu’écrivaine. Deux années plus tôt, Fatou Diome publiait La Préférence nationale (éd. Présence africaine), un recueil de nouvelles très remarqué. Suivra en 2003 le succès avec Le Ventre de l’Atlantique (éd. Anne Carrière).

Chacun de ses livres possède sa propre musique. Aucune nuit ne sera noire est peut-être son livre le plus intime. Prologue et épilogue y encadrent quatorze chapitres qui s’ouvrent sur un thème suivi d’un point d’interrogation ou d’exclamation. Géolocalisation ? Signature vocale ! etc. Cet hymne au grand-père emboîte comme des poupées russes des souvenirs douloureux et joyeux, un essai philosophique et un viatique méditatif contre le deuil.

Transformer ses blessures en écriture

Elle y prolonge sa réflexion autour de l’exil, de la dualité complexe mais riche qui la constitue en tant que « pélican du Saloum parmi les cigognes » et « toubab-noire ». D’autres sujets aussi politiques l’animent pareillement de livre en livre, tels que l’éducation, le développement de l’Afrique, la nature, le combat des femmes. Stigmatisée comme bâtarde, elle prend aussi la défense de ces enfants nés de l’amour.

Face à l’adversité, Mâma Saliou lui a appris à ramer même à contre-courant. Point de jérémiades, mais trouver le courage de transformer ses blessures en force d’écriture.

Malgré les misères des temps et l’angoisse du lendemain, Fatou Diome transmet la joie d’être vivante grâce à son Gabriel. Dans un battement de cœur ou de tambour, djoundjoung, embarquez dans l’océan de l’existence. Aucune nuit ne sera noire, Mâma Saliou veille.

Rencontre avec Fatou Diome, ce 19 septembre à la librairie Kléber, à Strasbourg. Sur inscription gratuite via le site de la librairie.