Depuis sa découverte en 2022, Earendel
fascine la communauté scientifique internationale. Baptisée d’après
l’ancien terme anglais désignant « l’étoile du matin »,
elle détenait le record absolu de l’étoile la plus distante jamais
observée, brillant dans un cosmos âgé de seulement 900 millions
d’années. Mais une analyse approfondie menée avec le télescope
spatial James Webb vient de révéler une vérité surprenante : ce que
nous prenions pour une étoile unique pourrait en réalité dissimuler
quelque chose de bien plus complexe et mystérieux.
Un trésor
cosmique aux confins de l’univers
Nichée dans la galaxie de
l’Arc de l’Aurore, Earendel nous parvient à travers un voyage de
12,9 milliards d’années-lumière. Pour saisir l’ampleur de cette
distance vertigineuse, il faut comprendre que nous observons cet
objet tel qu’il existait quand l’univers balbutiant n’avait que 7%
de son âge actuel. À cette époque primordiale, les premières
générations d’étoiles commençaient tout juste à illuminer les
ténèbres cosmiques.
La découverte d’Earendel
par le télescope Hubble avait représenté un exploit technique
remarquable. Dans un univers où les distances se mesurent en
milliards d’années-lumière, identifier un objet aussi ancien
relevait de l’impossible sans un coup de pouce cosmique
extraordinaire.
Quand
Einstein devient complice des astronomes
Ce coup de pouce porte un
nom : la lentille gravitationnelle. Ce phénomène, prédit par Albert
Einstein dans sa théorie de la relativité générale, transforme les
objets massifs en véritables télescopes naturels. Un amas de
galaxies colossal, situé stratégiquement entre la Terre et
Earendel, courbe l’espace-temps de manière si prononcée qu’il agit
comme une loupe géante.
Cette déformation de
l’espace amplifie la luminosité d’Earendel d’au moins 4000 fois, la
rendant suffisamment brillante pour être détectée par nos
instruments. L’alignement quasi parfait nécessaire à ce phénomène
est d’une rareté exceptionnelle, ce qui explique pourquoi de telles
découvertes demeurent si précieuses.
Cet alignement cosmique
miraculeux a d’ailleurs éveillé les soupçons des chercheurs.
Comment expliquer qu’un objet aussi petit qu’une étoile unique se
trouve exactement au bon endroit pour bénéficier d’un grossissement
maximal ? Cette coïncidence statistiquement improbable a poussé les
scientifiques à reconsidérer la nature réelle d’Earendel.
Le
télescope James Webb révèle ses secrets
Massimo Pascale, doctorant
en astronomie à l’Université de Californie à Berkeley, et son
équipe ont décidé d’approfondir le mystère en utilisant les
capacités spectroscopiques inégalées du télescope spatial James
Webb. Leurs analyses, publiées dans The Astrophysical Journal, ont
révélé des indices troublants.
L’examen du continuum
spectroscopique d’Earendel – qui décrit comment sa luminosité varie
selon les différentes longueurs d’onde – a produit des résultats
inattendus. Au lieu du profil caractéristique d’une étoile isolée,
les données correspondent remarquablement bien à celui d’un amas
globulaire, ces regroupements denses d’étoiles liées par leur
attraction gravitationnelle mutuelle.
Cette découverte n’est pas
entièrement surprenante selon Pascale : « Si Earendel est
réellement un amas d’étoiles, ce n’est pas inattendu ! Ces travaux
montrent qu’Earendel semble assez cohérent avec l’apparence que
nous attendons des amas globulaires du premier milliard
d’années. »
Crédit image : NASA/ESA/CSA/STScIUn débat
scientifique passionnant
Toutefois, tous les
experts ne partagent pas cette interprétation. Brian Welch, le
chercheur qui dirigeait l’équipe ayant découvert Earendel en 2022,
exprime des réserves prudentes. Selon lui, à la résolution
spectrale actuelle du télescope James Webb, distinguer le spectre
d’une étoile unique de celui d’un amas d’étoiles reste délicat.
Welch souligne également
une limitation méthodologique : l’étude de Pascale n’a exploré que
l’hypothèse de l’amas stellaire sans comparer systématiquement avec
d’autres scénarios possibles, comme celui d’une étoile unique ou
d’un système stellaire multiple.
Cette controverse illustre
parfaitement la rigueur du processus scientifique, où chaque
nouvelle découverte doit être scrutée, débattue et vérifiée avant
d’être définitivement acceptée.
L’avenir
dévoilera la vérité
Les deux chercheurs
s’accordent néanmoins sur la méthode qui permettra de trancher
définitivement : l’observation des effets de microlentille. Ce
phénomène subtil provoque des variations de luminosité
caractéristiques lorsqu’un objet passe devant l’objet observé. Ces
fluctuations sont bien plus marquées pour les objets compacts comme
les étoiles que pour les amas étendus.
Les futures observations
du télescope James Webb devraient apporter les éléments décisifs
pour résoudre ce mystère cosmique. Earendel conservera-t-elle son
titre d’étoile la plus lointaine, ou révélera-t-elle finalement
qu’elle était depuis le début un fascinant amas stellaire primitif
? La réponse transformera notre compréhension de ces objets
extraordinaires qui nous racontent l’histoire de l’univers
naissant.