Rarement Premier ministre n’aura pris ses fonctions dans un contexte aussi délicat. La dégradation de la note de la France à un modeste A+ par l’agence Fitch sanctionne la désinvolture et la procrastination de nos dirigeants, et relègue notre pays dans la deuxième division des nations européennes. Tel un mauvais élève, Emmanuel Macron redoutait ce moment humiliant. Le couperet est tombé. La dégradation vise les années de laisser-aller budgétaire sous les gouvernements Castex, Borne et Attal.

L’agence cible aussi le pouvoir en place et son « incapacité à mettre en œuvre un plan crédible d’assainissement budgétaire ». Les équipes Barnier et Bayrou ont échoué à stopper l’instabilité faute de compromis avec les oppositions. Là où il n’y a plus d’amélioration possible, le déclin approche…

Sans attendre le verdict des agences, les marchés ont dégradé la France, qui emprunte déjà à un taux plus élevé que l’Italie. Des voisins transalpins que nos élites politiques ont souvent considérés comme les champions de l’instabilité et des déficits. La charge de notre dette atteint aujourd’hui 55 milliards d’euros et risque de s’envoler demain sans vraies mesures d’économies.

Le nouveau Premier ministre ne peut que constater un inquiétant obscurcissement du ciel au-dessus de sa tête  ! En effet, à la crise financière viennent se greffer des tensions sociales  : au mouvement « Bloquons tout » va succéder jeudi 18 septembre une journée intersyndicale de manifestations et de grèves. Dans ce climat socio-économique vicié, l’impopularité record du chef du gouvernement - 17 % d’avis favorables, selon notre baromètre -Ipsos quasi nulles ses chances de survie politique.

Pourtant, il ne faut pas sous-estimer l’habileté manœuvrière de Sébastien Lecornu. Il a su se faire apprécier du camp présidentiel mais aussi des Républicains et a gagné le respect de ses adversaires lors du vote de la loi de programmation militaire. En entamant des négociations avec les syndicats et les partis politiques, il arrive sans ligne rouge ou presque. L’humilité et la sobriété qu’il s’impose lui seront indispensables pour obtenir la neutralité du PS et s’épargner une rapide censure.

Il ne suffit pas de chuchoter à l’oreille de Jupiter.

N’affichant pas le CV d’un techno, il peut se targuer d’avoir été successivement assistant parlementaire, maire, président de conseil départemental, sénateur. Cependant, sa présence sans discontinuité dans les gouvernements de 2017 à 2025 contribue à entretenir l’image d’un courtisan d’Emmanuel Macron. Il ne suffit pas de chuchoter à l’oreille de Jupiter pour que les Français aient les yeux de Chimène pour le chef du gouvernement.

On attend aussi de Sébastien Lecornu qu’il rompe avec le statut de collaborateur du président de la République. Pour réussir dans sa mission,  il misera sur l’empressement mesuré - doux euphémisme - des groupes politiques de l’Assemblée à retourner (en cas de dissolution) devant les électeurs, si l’on excepte le RN.

Les petites marges de manœuvre sur la fiscalité - taxation des plus riches - et sur les retraites - avancées sur le dossier de la pénibilité - pourraient amadouer syndicats réformistes et élus de la gauche modérée. En somme, Sébastien Lecornu, bien que fervent admirateur du général de Gaulle, gagnerait à faire sien ce slogan de Mai 68  : « La barricade ferme la rue mais ouvre la voie ».

Bruno Jeudy, directeur délégué de la rédaction