Il y a travaillé cinq ans. Investi du temps, de l’argent, de la sueur et une énergie extraordinaire pour trouver chacun des dix matériaux de la sculpture finale. Pourtant celle-ci est minuscule, et prend la forme d’un cube de quatre centimètres de hauteur…
Exposée – seule, absolument seule – sur un socle au beau milieu des 1 000 mètres carrés de la gigantesque galerie Valérie Bach à Bruxelles (une ancienne patinoire), La Fin du monde d’Alfredo Jaar (né en 1956) est probablement l’œuvre la plus impressionnante que vous verrez ces temps-ci dans la capitale belge.
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Vernissage de l’exposition « Alfredo Jaar, La Fin du monde » à la Patinoire Royale Bach à Bruxelles
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© La Patinoire Royale Bach
Pour nous en expliquer la genèse, Alfredo Jaar nous reçoit dans le bureau de la galerie, et nous promet une présentation de dix minutes top chrono, aidé d’un PowerPoint. Calme, concentré, il se lance dans une sorte de mini-conférence, illustrée d’articles de presse et d’archives variées, autour des dix minéraux les plus précieux au monde : le cobalt, les terres rares, le cuivre, l’étain, le nickel, le lithium, le manganèse, le coltan, le germanium et le platine. Tous sont primordiaux pour l’économie mondiale car utilisés dans la fabrication des ordinateurs, smartphones et autres voitures électriques.
Rapidement, l’artiste chilien dresse un constat : ces minéraux sont au cœur d’échanges extraordinairement complexes qui concernent tous les pays du monde et affolent particulièrement les grandes puissances (Chine, États-Unis, Europe). Leur exploitation a entraîné et entraînera des désastres écologiques comme des guerres, commerciales et militaires, et a déjà largement commencé à bouleverser l’ordre mondial (dans différents pays d’Afrique, en Ukraine, au Groenland…). Bref, ils sont à la source de l’ « état lamentable de notre planète ».
Une sculpture comme une claque
Dans l’espace immense de la galerie, cette toute petite chose apparaît ainsi pour ce qu’elle est : un concentré de ce qui provoquera notre ruine.
Ce sont donc eux, ces minéraux, que l’on retrouve, en fines couches, empilés au sein du petit cube de quatre centimètres de hauteur. Après la présentation (le public peut quant à lui assister à une vidéo introductive, juste avant d’entrer dans la pièce principale de la galerie et qui reprend les mêmes éléments), nous arrivons devant la sculpture, hantés par ces informations. Le format même de l’introduction, concise et synthétique, résumant en quelques minutes un phénomène capital dans l’histoire du monde néolibéral, donne l’impression d’un shoot d’alcool fort, qui ouvre l’esprit et déstabilise comme une claque.
Dans l’espace immense de la galerie, cette toute petite chose apparaît ainsi pour ce qu’elle est : un concentré de ce qui provoquera notre ruine (c’est du moins ce dont on est persuadé après le constat de l’artiste, qui a travaillé pour l’occasion avec un géologue politique, Adam Bobette). « Journaliste frustré », comme il le dit lui-même, Alfredo Jaar a voulu créer une œuvre qui informe, réveille. Architecte de formation, il explique ne pas pouvoir concevoir une œuvre en dehors de son contexte de production, ancrée de tout son poids (soit quatorze kilos, tout de même !) dans le monde dans lequel elle surgit.

Alfredo Jaar, La Fin du monde, 2023–2024
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Cobalt, terres rares (néodyme), cuivre, étain, nickel, lithium, manganèse, coltan (niobium), germanium (argentium), platine • © La Patinoire Royale Bach
Quant au choix de présenter une œuvre minuscule dans un espace démesuré éclairé d’un rouge puissant (il l’avait déjà fait à Berlin en 2024), il détaille : « J’ai décidé de ne pas accepter la tyrannie de cet espace, de ce vaste volume, et de prendre une position de contradiction. J’ai choisi de montrer l’objet le plus petit possible, en espérant que le vide allait donner du poids à cet objet, lui rendre sa gravité. Le vide, le silence, la lumière rouge… Pourquoi le rouge ? Le rouge est la couleur de la vie, du sang. C’est la couleur de l’amour, mais aussi d’un signal d’alarme, du panneau ‘stop’ – l’amour que nous devrions avoir pour la planète, et l’injonction d’arrêter de la meurtrir par notre comportement. »
Le contraste est phénoménal, et donne à l’œuvre une puissance que l’on n’est pas près d’oublier.
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Alfredo Jaar. La fin du monde
Du 4 septembre 2025 au 23 décembre 2025
La Patinoire Royale/Galerie Valérie Bach • 15 Rue Veydt • 1060 Bruxelles
www.prvbgallery.com