« Un coup de fusil malheureux a mis en émoi tout Rochetaillée ». C’est le titre d’un article paru dans La Tribune-Le Progrès, au matin du mardi 14 septembre 1965. La veille, déjà, la chronique des faits divers avait rendu compte du grave accident de chasse survenu au milieu des bois du lieu-dit Le Ras, au cours de l’après-midi du dimanche : pendant sa cueillette, un ramasseur de champignons avait été atteint au visage et au bras par une décharge de chevrotines (*).

Le tireur avait ensuite pris la fuite sans demander son reste… Les jours suivants, l’affaire prend une tournure sévère : Rochetaillée veut savoir qui est le tireur fou qui hante ses bois.

« La lâcheté de celui qui s’est enfui »

L’enquête diligentée par les gendarmes de Terrenoire permet, dans un premier temps, d’y voir plus clair sur les circonstances de l’accident. Le ramasseur de champignons se trouvait dans un bois de sapins, en surplomb de la route qui conduit au barrage du Gouffre d’Enfer.

« Il s’est penché sur un buisson lorsqu’un coup de fusil partit de sa droite et l’atteignit à la face et au bras droit », détaille notre reporter dans les articles de l’époque. « La dispersion des plombs semble montrer qu’il s’agissait d’une arme ancienne. Le calibre du plomb, en tout cas, est très petit. Du dix tout au plus ». L’enquête révèle plus tard qu’il s’agit de 9 mm.

 En dépit de ces éléments, l’enquête piétine. Les gendarmes décident alors d’organiser une sorte de confrontation, en convoquant les 120 adhérents de la société de chasse de Rochetaillée. « Tous étaient exacts au rendez-vous et tous ceux que nous avons pu interroger avant la réunion, où la presse n’était pas admise, étaient unanimes à flétrir la lâcheté de celui qui s’est enfui sans tenter de porter secours à la victime. »

Pour Monsieur Ravel, le président de la société de chasse de la Saint-Hubert, « c’est d’autant plus inadmissible que nous sommes très bien assurés en ce qui concerne la responsabilité civile. Il n’y a donc pas d’excuse et lorsque nous connaîtrons le coupable, nous sommes tous bien décidés à nous « occuper de lui » » prévient-il dans les colonnes de La Tribune – Le Progrès, le vendredi 17 septembre 1965.

La piste du braconnage

Au cours de cette réunion, les langues se délient. Les gendarmes repartent en disposant du signalement de deux hommes qui ont été vus dans le secteur, s’éloignant par la route du Bessat.Ils font aussi le parallèle avec leurs investigations sur le terrain : par trois fois, le chien pisteur qu’ils ont lâché dans les bois de Rochetaillée les a conduits jusqu’à la maison du garde du barrage du Gouffre-d’Enfer.

C’est là que se tient la clé du mystère. Au barrage, le garde a cinq enfants dont quatre fils. Il y a trois fusils de répertoriés, mais aucun permis de chasse… La famille est convoquée pour une audition. Les gendarmes soupçonnent un accident pendant une partie de braconnage.

Trahi par sa 4CV

C’est au cours de l’audition de la famille que la vérité éclate au grand jour. Un des fils, alors âgé de 20 ans, déclare avoir passé l’après-midi avec un ami à Planfoy où ils ont consommé dans divers établissements. Or, personne ne les a vus dans la localité… Et la 4CV avec laquelle ils s’y seraient rendus n’a pas pu faire le trajet : elle est en panne. 

Acculé, le jeune homme finit par reconnaître les faits au soir du vendredi 17 septembre 1965 : en voulant tirer sur des perdreaux, il avait atteint le malheureux ramasseur de champignons. Il aura fallu cinq jours à la petite commune de Rochetaillée pour trouver la clé de l’énigme et identifier son tireur indélicat.

(*) La victime, âgée de 55 ans, a survécu, mais a été gravement blessée à un œil.