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Publié le

14 sept. 2025 à 9h14

À l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Paris-Belleville (ENSAPB), le projet de diplôme est souvent l’occasion pour les futurs architectes d’explorer un rapport singulier au territoire.

Pour Caroline Iribe, Oriane Passaquin et Jason Néhou, ce territoire a pris les traits du Cotentin (Manche), ses marécages, ses infrastructures et ses mémoires, aussi collectives qu’intimes. Tous trois ont choisi de s’éloigner du rendu classique d’un bâtiment pour se tourner vers une recherche sur l’ancrage du nucléaire dans ce paysage.

Trois visions pour un seul projet

Caroline, déjà familière de la région, a souhaité varier les échelles d’analyse. Du plus intime au plus global, afin de saisir les influences sociales et économiques qui structurent ce territoire. « Ce qui m’a motivée, c’est l’impact humain et irradiant, sans mauvais jeu de mots », plaisante-t-elle.

Cette approche rejoint celle d’Oriane, qui s’est intéressée aux mégastructures industrielles et à la façon dont elles façonnent autant les espaces que les relations sociales. Le Cotentin, largement marqué par l’énergie nucléaire, s’est imposé comme terrain d’étude. Elle dit avoir été frappée par « l’opacité » de cette industrie, ce qui l’a poussée à questionner non pas la conception architecturale en elle-même, mais la place de l’architecte face à de tels territoires.

À ces regards analytiques s’ajoute celui, plus intime, de Jason. Originaire de Bricquebec-en-Cotentin et ayant des proches qui travaillent dans le nucléaire civil, il a grandi dans une région façonnée par l’atome. « Il ne faut pas cracher dans la soupe », glisse-t-il avec réalisme.

Parti à Paris pour ses études, il a voulu revenir sur ses terres pour confronter sa mémoire personnelle aux récits d’autres habitants : « J’ai gardé tous mes potes d’ici. Je voulais raccrocher les wagons. Comme je l’ai fait tout au long de mes études. »

Vidéos : en ce moment sur Actu« Reterrestrer » le nucléaire

À mi-chemin entre l’art, l’anthropologie et la médiation visuelle, leur projet L’Aire de l’atome ne se présente pas comme une étude technique. « On a commencé à la mi-février avec une longue période d’analyse technique », raconte Oriane.

Mais, rapidement « submergés » par la masse d’informations, ils se sont tournés vers la méthode de la « reterrestration » proposée par l’anthropologue Ange Pottin. L’idée : comprendre l’atome non pas comme un élément abstrait, mais comme une présence concrète dans le territoire.

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À partir de ce travail de terrain, de documents et de témoignages, les étudiants ont fait la part belle aux récits humains afin d’éviter d’avoir un regard seulement technique. C’est ce qui est présenté dans ce qu’ils appellent les « alcôves du Cotentin » : une série de récits spéculatifs qui prolongent leur enquête. Ils y interrogent les futurs possibles du territoire à travers trois trajectoires.

La première envisage la poursuite du développement, avec l’arrivée de nouveaux réacteurs comme l’EPR3 et l’émergence de projets tels que l’Aval du futur. « Cette partie est beaucoup plus accès sur la théorie » selon Jason. La seconde explore le scénario d’un démantèlement progressif, soulevant des questions économiques et sociales inédites, « celle-là est plus terre à terre ». La troisième, plus sombre, projette l’hypothèse d’un incident ou d’une crise majeure, un scénario qui résonne avec certaines craintes dans l’imaginaire local.

Une exposition pour partager l’enquête

Pour restituer ce travail, les trois jeunes architectes ont conçu une exposition en trois parties. Le visiteur est invité à déambuler dans un parcours révélant progressivement les fragments de leur recherche : documents, extraits de journaux, récits, cartes, images et dispositifs sensibles.

L'exposition en trois parties explore différents scénario fictif sur la transformation du Cotentin par l'activité nucléaire.
L’exposition en trois parties explore différents scénarios fictifs sur la transformation du Cotentin par l’activité nucléaire. ©Document transmis à La Presse de la Manche 

« Nous ne sommes ni ingénieurs ni scientifiques, précisent-ils. Nous sommes architectes. Notre rôle est de créer des représentations accessibles, de donner une forme à l’invisible. » À terme, l’idée d’organiser une médiation autour de ce sujet directement dans le Cotentin auprès des habitants.

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