L’Europe ne fait plus peur aux constructeurs automobiles. En quelques mois, ils sont parvenus à retourner la situation à leur avantage face à la Commission. Celle-ci leur a accordé un étalement sur trois ans de la mise en place des nouvelles normes CAFE et l’accélération de l’agenda prévoyant une clause de revoyure destinée à rendre plus progressif le passage à l’interdiction de la vente de véhicules à moteur thermique en 2035. Sans oublier la promesse d’un traitement dérogatoire pour les véhicules utilitaires.

 

Hier père fouettard arc-bouté sur la mise en œuvre d’un Green Deal tirant sa légitimité d’un large consensus sur les enjeux environnementaux forgé au parlement européen, l’UE a baissé pavillon dés que l’ACEA a froncé les sourcils.

Sale temps pour les politiques environnementales

Depuis le vote du parlement européen en 2022 interdisant la vente de voitures thermiques neuves en 2035, le contexte a changé. Le résultat des élections européennes a déplacé le centre de gravité politique de l’UE vers la droite. Ceux qui freinent ont pris le dessus sur ceux qui poussent à la transition écologique. Et parmi ces derniers, les Allemands ont choisi de lever le pied, ce qui n’est pas rien. Plus largement, les politiques environnementales dans leur ensemble ont subi de forts vents contraires à peu près partout. En France, Bruno Retailleau peut ouvertement réclamer la suppression pure et simple des crédits en faveur de l’éolien et du solaire sans que cela ne déclenche un tollé général. 

 

Ce contexte a incité les groupes automobiles à changer de ton. Zélateurs de l’électrique – qui se souvient qu’au matin du vote du parlement, en 2022, Stellantis avait adressé aux députés européen un mail d’encouragement à voter l’interdiction du thermique ? – ils ont opté pour une contestation d’abord sourde mais désormais décomplexée. Hier rendus inaudibles par le Dieselgate, ils ont réussi à faire admettre dans l’opinion l’idée que la voiture électrique ne décolle pas alors que ses ventes sont en progression en Europe malgré leur peu d’empressement à proposer des modèles accessibles.

Que veut l’Europe ?

Face à des constructeurs enhardis, l’Europe est en roue libre. Elle n’a plus de discours clair ni de volonté affirmée. Ursula Von der Leyen – qui, contrairement à Pénélope ne retisse pas pendant la nuit ce qu’elle a détricoté pendnat la journée – est prête à étudier tout ce qui pourrait ralentir la conversion à l’électrique. Si les constructeurs réclamaient l’autorisation de motorisations hippo-hybrides, elle dirait sans doute oui. Car l’Europe, désormais, leur dit toujours oui. Prévue en fin d’année, la discussion autour de la clause de revoyure se présente pour l’ACEA sous les meilleurs auspices.

 

Que veut l’Europe ? Vaste question. Elle a, c’est le moins que l’on puisse dire, perdu de son allant sur les questions environnementales mais il n’est pas dit qu’elle soit disposée à fouler aux pieds l’objectif 2035 – ce qui apparaîtrait comme une capitulation en rase campagne. En revanche, on ignore quelles sont ses lignes rouges et même s’il en existe. Une chose est acquise : elle a perdu sa force de proposition. Bruxelles aurait pu se saisir de la question des « kei cars » à l’européenne ou anticiper la difficulté manifeste de mettre les véhicules utilitaires au diapason de l’objectif 2035. Ces deux thématiques auraient pu nourrir un donnant-donnant avec l’ACEA. 

Montagnes russes 

La position inconfortable de l’Union européenne, contrainte de revenir sur ses acquis, résulte aussi des effets pernicieux du cadre dans lequel s’organise la confrontation entre l’UE, garante de l’intérêt général, et les industriels, porteurs d’intérêts économiques légitimes. Au lieu de négocier sans tarder en bonne et due forme afin de concilier ces deux logiques, chacun campe sur des positions radicales pour gagner la bataille de l’opinion. 

 

Pour l’Europe, le très ambitieux calendrier 2035 vise davantage à rendre la transition vers l’électrique irrévocable qu’à atteindre un objectif strictement défini dans le temps. Ce qui, au passage, incite à relativiser les concessions de la Commission. En d’autres termes, si l’interdiction du thermique intervient un peu plus tard que cette date, ce ne sera pas si grave. L’important, c’est que tout le monde s’y colle. Idem pour les VU même si la perspective 2035 était depuis longtemps notoirement irréaliste pour ce secteur. 

 

En face, les constructeurs entonnent avec constance un discours de dramatisation déconnecté de la réalité. Leur niveau d’émissions de CO2 est, sauf exception, parfaitement dans la norme compte tenu des assouplissements qu’ils ont obtenus. Leur lobbying vise aussi, et peut-être surtout, à gagner du temps face à la menace chinoise. Les constructeurs allemands, également victimes du protectionnisme américain, pèsent de tout leur poids pour que l’Europe fasse droit à ces revendications. Non sans succès. Stellantis et Renault, quant à eux, ne voient rien à redire. 

Poker menteur délétère

Cette manière de jouer au poker menteur devant l’opinion n’est pas sans conséquences. Elle alimente un mouvement de balancier – demain, si la croissance revient et que la donne politique change, il n’est pas dit que l’Europe ne musclera pas de nouveau son discours environnemental – qui nuit à la visibilité à long terme que les constructeurs appellent de leurs voeux. 

 

Outre qu’elle ne brouille la notion de décarbonation des transports et ne valorise guère l’idée européenne, cette confrontation aux allures de montagnes russes offre un terrain favorable aux polémiques techno-environnementales. A court terme, les débats enflammés autour de l’efficience des hybrides à prolongateur d’autonomie sont promis à un bel avenir. Sans parler de la question des carburants de synthèse dont les partisans vont, soit dit au passage, devoir sérieusement travailler leur argumentaire pour s’assurer un minimum de crédibilité.

Au fond, n’en déplaise à une large partie du milieu automobile, les jeux sont faits. L’ampleur considérable des investissements engendrés par la transition vers les voitures à batterie, la perspective de voir baisser leur prix mais aussi la réalité du terrain – aujourd’hui, voyager en électrique n’a vraiment rien de compliqué – rendent inéluctable l’avènement de la voiture électrique, processus engagé par les politiques plutôt que par les constructeurs. Même si cela prendra plus de temps que prévu.