Depuis le trottoir de l’avenue du Général-Leclerc, les habitants du XIVe arrondissement de Paris n’avaient jamais rien vu d’autre, à travers les grilles closes, que cette allée de grands arbres filant sur le majestueux bâtiment de l’hôpital La Rochefoucauld. Depuis ce mois de septembre, ils peuvent déambuler dans le vaste jardin d’herbes folles et d’arbres fruitiers à l’occasion d’événements culturels et artistiques et ce, trois jours par semaine.

Fermé depuis 2019, le site de la « maison de cure » construite sous Louis XVI vient gonfler la liste des tiers-lieux transitoires de Paris. Cette occupation intercalaire se calque sur ce qui est devenu un concept à succès : le temps qu’un projet définitif de logements privés, logements étudiants et galerie culturelle ne voie le jour ici, la friche hébergera associations, étudiants en architecture, ateliers et galerie d’artistes, mais aussi restaurant d’insertion et accueil de jour.

C’est le quatrième projet d’envergure mené dans le XIVe par l’agence Plateau urbain, spécialiste des tiers-lieux transitoires. Elle compte plus d’une vingtaine de tiers-lieux à son actif à Paris, sur les 55 qu’elle a ouverts et gérés dans les grandes métropoles françaises.

L’usage du lieu fait évoluer le projet immobilier

Acteur le plus connu en Île-de-France à l’instar de Yes We Camp, Plateau urbain n’est pas seul sur le créneau. C’est d’ailleurs tout un écosystème tourné vers l’immobilier solidaire qui se réunira cet automne pour la seconde édition de sa « Kermesse », un salon immobilier spécifique, ouvert au public à Césure (Ve), le tiers-lieu ouvert en 2022 dans l’annexe Censier de la Sorbonne.

Figure de proue de l’urbanisme transitoire, les Grands Voisins, installés sur le site de l’hôpital Saint-Vincent-de-Paul (XIVe) de 2015 à 2020, ont montré les vertus de l’occupation des friches parisiennes. L’expérience avait, à l’époque, rassemblé 147 acteurs.

Paris (XIVe). Les Grands Voisins, sur le terrain de l’ancien hôpital Saint-Vincent-de-Paul, a été le fer de lance de cette nouvelle occupation de lieux vacants. Yes We CampParis (XIVe). Les Grands Voisins, sur le terrain de l’ancien hôpital Saint-Vincent-de-Paul, a été le fer de lance de cette nouvelle occupation de lieux vacants. Yes We Camp

Usages variés, bonne cohabitation des publics… Le succès du tiers-lieu a conduit à revoir le projet définitif des promoteurs de l’écoquartier, dont les premiers programmes seront livrés fin 2026.

Les locaux d’activités en pied d’immeuble seront multipliés par huit pour les acteurs de l’économie sociale et solidaire, les artisans et les artistes. S’ajoutent au projet deux programmes d’hébergement d’urgence gérés par l’association Aurore. Des bâtiments auxquels les riverains s’étaient attachés ont finalement été préservés de la démolition.

Même chose pour les Cinq Toits (XVIe), où le bailleur social Paris Habitat a intégré également de l’hébergement d’urgence pérenne.

« Il reste toujours une trace de l’urbanisme transitoire dans le projet définitif. Cela permet souvent d’ouvrir des lieux que les riverains ne connaissaient pas, qui ont généralement une valeur patrimoniale et symbolique dans un quartier, décrypte Angèle de Lamberterie, directrice du développement chez Plateau urbain. Ce sont de nouveaux espaces qui s’offrent à la ville sans logique spéculative et qui permettent à des acteurs solidaires, des artisans et artistes, de trouver des locaux pour travailler. »

« Les riverains se réapproprient les lieux »

En 2019, la Ville de Paris a créé sa charte de l’urbanisme transitoire, mise à jour en 2021, pour inciter notamment les acteurs privés, propriétaires et promoteurs, à mettre à disposition les friches de la ville en les dédiant à l’occupation solidaire. 45 partenaires publics et privés l’ont signée, tels que Nexity, Vinci, SNCF Immobilier ou l’AP-HP.

« Entre le moment où l’on achète un bâtiment et la fin du programme de travaux, il peut s’écouler trois ans. Une occupation intercalaire permet aussi de préfigurer les lieux à l’usage : les riverains se les réapproprient, cela crée un melting-pot », souligne Hélène Schwoerer, directrice générale adjointe maîtrise d’ouvrage et développement de Paris Habitat, engagé depuis 2009 dans l’urbanisme transitoire.

Dernier exemple à la Caserne d’Exelmans (XVIe), dont le programme sera inauguré en octobre. Au rez-de-chaussée, les plans ont été revus pour partager des locaux avec Aurore, la Ville de Paris et des associations. Une aubaine pour les publics fragiles qui peuvent ainsi accéder à des hébergements d’urgence dans un contexte foncier tendu et profiter de l’émulation du lieu pour une meilleure insertion dans un quartier.

« Quand on peut se rencontrer, on fait tomber la peur de l’autre jusqu’à pérenniser des lieux d’hébergement », applaudit Florian Guyot, le directeur général d’Aurore.