C’est comme si un petit bout de Polynésie française vivait en bord de rade. Toulon, lieu du « grand rassemblement polynésien », dixit Manu, est encore aujourd’hui une importante terre d’accueil pour les natifs du pays d’outre-mer. Sous le soleil méditerranéen, à deux pas de la plage, hommes et femmes du Pacifique peuvent aisément y retrouver les saveurs, odeurs et traditions du fenua (la « terre » ou le « pays », en tahitien).
Ainsi, même si leur nombre demeure difficile à quantifier, il suffit de sillonner la ville pour se rendre compte de cette omniprésence. Commerces, spécialités culinaires, associations, tatouages… Nombreux sont ceux à avoir ramené un peu de leur archipel en Métropole.
« Quand tu arrives ici en tant que Polynésien, tu te sens chez toi », confirme Cyrille, débarqué dans le Var il y a maintenant 30 ans. Comme des milliers d’autres, ce grand gaillard a quitté Tahiti pour effectuer son service militaire. D’abord attaché au porte-avions Foch, « dans la sécurité et l’entretien du bâtiment », il a fini par rencontrer sa femme et fonder une famille au pied du Faron. Hormis pour les vacances, il n’est plus jamais retourné vivre au fenua.
« Voir plus grand »
Le parcours de Cyrille n’est pas un cas isolé. Même si le service militaire a été supprimé en 1997, ce même schéma se répète sans cesse au fil des années. En particulier chez les jeunes, venus chercher emploi et stabilité dans la métropole.
« La plupart viennent d’abord pour le travail. Et l’accès le plus facile, c’est l’armée », explique Piri, qui a quitté ses Marquises natales en 2013 pour s’engager en tant que marin-pompier à Toulon. Un peu comme ses amis d’enfance, lesquels furent nombreux à faire le choix de l’uniforme: « Lorsque l’un d’eux est parti en métropole et que les autres ont vu que ça se passait bien pour lui, qu’il gagnait sa vie, eh bien ils l’ont rejoint! (rires) »
La métropole, océan d’opportunités
Aussi paradisiaque soit-elle, la région d’outre-mer reste, en effet, tout, sauf un eldorado pour les demandeurs d’emploi. « Le marché du travail est pas mal saturé, reconnaît Manu, actuellement gendarme dans la région toulonnaise. Du coup, le Tahitien choisit de s’engager afin de s’expatrier, voir plus grand et trouver sa propre autonomie. […] L’armée propose des corps de métiers qualifiants. Après le service, il a donc toutes les qualifications en vue d’une reconversion. »
Pour de nombreux natifs des îles, le billet vers la France métropolitaine et ses bases militaires semble ainsi mener à un océan d’opportunités. Et autant dire qu’avec son grand port militaire, Toulon en abrite une bonne partie. « Ma mère me disait que ce qui permettait de partir de Tahiti, c’était de se faire payer l’avion par l’armée. Là-bas, il n’y avait pas d’argent. C’était plus simple d’aller en métropole », abonde Henere, né à Tahiti, puis élevé à Toulon par des parents militaires.
Mais aujourd’hui, tandis que l’offre de formation se développe dans la douzième ville de France, ce sont aussi les études qui attirent les Polynésiens dans le Var. Chaque année, selon l’Institut de la statistique du territoire d’outre-mer (1), c’est d’ailleurs un tiers des 18-24 ans qui quitte le fenua pour poursuivre un cursus dans l’Hexagone.
Mer et soleil comme arguments
« J’ai déjà croisé plusieurs personnes de mon ancien lycée rien qu’à la fac de Toulon », acquiesce Layana. Étudiante en deuxième année de droit, elle a rallié la ville de Raimu pour y faire « de plus longues études » et « découvrir un nouveau mode de vie »… Tout en ayant l’occasion de se rappeler au bon souvenir de l’île d’amour. « Le climat et la mer qu’on a ici, c’est super important. Sans ça, je ne sais pas si je l’aurais envisagé », lâche la jeune femme.
Piri, lui, a également choisi la Marine nationale et Toulon pour la grande bleue. « J’aime beaucoup naviguer. Dans l’armée, j’étais content parce que je voyais la mer. » Et à Cyrille de poursuivre: « C’est la météo qui m’a plu ici. J’ai d’ailleurs de nombreux exemples de familles qui cherchent à venir s’installer, ou même investir. Il faut dire qu’on est dans une belle région où l’on se sent bien intégré, et avec en plus une forte communauté. »
Suffisant, apparemment, pour convaincre de nombreux Polynésiens de rester vivre dans le coin. « Est-ce que je serai encore à Toulon dans dix ans? Oui, c’est très possible! », conclut Layana.
1. D’après le recensement de la population effectué en 2022.
Dans le prochain épisode: la cuisine tahitienne s’installe en ville.