L’affaire remonte au 5 février 2022, à Ruy Montceau (Isère). Ce jour-là, les gendarmes interviennent au domicile de Paulette G., 95 ans, et découvrent son corps sans vie, assise dans son fauteuil. Son fils, Alain C., est sur place et avoue avoir tiré trois balles dans le cœur de sa mère, avec son arme de tireur sportif. Un geste qu’il qualifie d’acte d’amour, motivé par la détresse de sa mère et son désir de ne plus vivre.

Alain C. vivait seul avec sa mère depuis le décès de son père en 1995. Une relation ultra fusionnelle presque « incestueuse » selon les experts. Il avait dévoué sa vie à Paulette G., renonçant même à fonder une famille. La santé déclinante de sa mère, notamment depuis un infarctus en 2017 et une fracture du fémur en 2021, l’avait plongé dans un état dépressif sévère. Sans aide à domicile, il portait seul le poids de la prise en charge quotidienne de sa mère, devenue incontinente et très affaiblie.

Le jour du drame, après une énième discussion où Paulette G. lui répète son désir de mourir, il décide de « l’aider ». Il tente d’abord de la surdoser avec des anxiolytiques et des antidépresseurs, puis, face à l’échec, essaie de l’étouffer, sans y parvenir, le geste étant « trop dur ». Finalement, il prend une de ses armes et lui tire 3 balles dans le cœur. Le projet initial d’Alain C. était de mourir après sa mère, mais celle-ci lui fit promettre de vivre. Il a tenu sa promesse. 

Alain C. attend les gendarmes, il est incarcéré. « Sa mère, c’est ce qu’il avait de plus cher au monde, et c’est lui qui est l’auteur de ça », explique Me Bohé. Alain C. restera plus d’un an en détention provisoire, un détenu modèle, compatissant au malheur que sa mère et lui-même ont vécu.

La question de la fin de vie

Pour maître Laurent Bohé, ce dossier est une première. « C’est le premier meurtre sur ascendant que j’ai eu », confie l’avocat, qui défend habituellement les forces de l’ordre. Ce sont d’ailleurs ses « clients habituels » qui l’ont orienté vers cette affaire. Cette singularité l’a profondément interrogé sur la question de la fin de vie. « Généralement, j’essaie de ne pas être un avocat militant, j’essaie de rester à ma place, si j’ai des idées, je les garde pour moi, mais j’essaie aussi de voir ce que dans mon travail, peut faire avancer la société et ou la loi », explique-t-il. 

La loi sur la fin de vie, actuellement en discussion en France, ne prévoit pas de cas comme celui de Paulette G. : une personne âgée qui, sans pathologie terminale, souhaite mourir par épuisement et pour ne plus être une charge. « On est dans un cas qui n’est pas encore prévu. On est sur le cas d’une personne âgée qui n’a pas véritablement une pathologie dont l’issue est fatale, donc qui peut vivre si elle est aidée, mais une personne qui ne souhaite plus vivre parce qu’elle en a marre d’être une charge pour les autres, particulièrement pour son fils. Elle ne veut pas se voir se dégrader comme elle se dégrade », souligne Me Bohé.

Pour l’avocat, c’est un « trou dans la raquette » législative. 

L’objectif du pénalisé lyonnais sera de provoquer une réflexion profonde lors du procès. « Je n’imagine pas que cet homme-là soit condamné. Mais c’est compliqué parce que cet homme a donné la mort à quelqu’un qui souhaitait la mort. Ce n’est ni contesté, ni contestable. C’était un acte d’amour de sa part. Que vont faire les magistrats et les jurés face à ça. Ça va être la vraie question. »

L’avocat compte s’appuyer sur le témoignage des proches d’Alain C., qui décrivent tous un homme dévoué à sa mère, agissant sur sa demande. « Il n’a rien à cacher, il va se livrer je pense que ce sera assez magique en termes d’audience », prédit-il. Il fera également intervenir des experts sur la question de la fin de vie, pour éclairer le débat. 

Laurent Bohé, inspiré par son prédécesseur Maître Jean-Loup Cacheux qui avait fait évoluer la loi sur le pourvoi en cassation des personnes en fuite, espère que ce procès sera une nouvelle occasion de faire progresser le droit. « Dans ce dossier, je me suis dit il y a un vrai problème car on est dans une situation que la loi ne prévoit pas véritablement. Donc c’est une situation qui va nous amener à prendre une décision, soit en tordant un peu la loi, en lui faisant dire autre chose soit en étant plus radical. C’est ce vers quoi je vais aller, je vais demander une décision radicale pour amener à une réflexion afin de faire changer la loi. »

Malgré la gravité des faits, l’absence d’adversité dans ce dossier le marque particulièrement. « Là pour le coup, tout le monde peut y aller de manière libérée et ça, ça peut être vraiment quelque chose de différent qui nous sort des combats du quotidien, » conclut Maître Bohé, convaincu que ce procès, dont la date n’est pas encore fixée, sera un moment fort pour la justice et la société.

Une audience où il faudra se battre pour Alain C., qui lui, « assumera tout peu importe la décision, s’il doit retourner en prison il y retournera sans rien dire. »