« Oui » est un film qui bouscule en proposant dans une forme radicale, cacophonique, un regard de l’intérieur, côté israélien, sur la guerre et plus largement une vision de l’état du monde sans concession.

Présenté à la Quinzaine des Cinéastes au Festival de Cannes 2025, ce nouveau film de Nadav Lapid dresse un portrait au vitriol de son pays, et de ses dérives extrémistes. Il sort dans les salles le 17 septembre.

Y., pianiste de jazz, et sa femme Jasmine, danseuse, vivent dans un petit appartement à Tel Aviv avec leur bébé. Dans la dèche, ils proposent à beaucoup plus fortunés qu’eux ce qu’ils ont à offrir : leur art, voire plus si c’est bien rémunéré.

Couple bohème un peu excentrique, Y.et Jasmine sont aux petits soins avec leur bébé dans la journée. Mais la nuit, ils se transforment en bêtes de scène et de sexe dans des soirées données par une jet-set qui se console des massacres du 7 octobre en se vautrant dans l’alcool, le sexe, la drogue et dans un nationalisme belliqueux.

À quelques kilomètres de cette furie décadente, le tonnerre des bombes qui tombent sur Gaza ne s’arrête jamais, mais rien de cette folie meurtrière ne vient troubler l’atmosphère paisible des rues de Tel Aviv, ni la beauté des couchers de soleil sur la mer.

Parfois, quand même, la guerre fait irruption dans leur vie, à la télé, qu’on peut couper, ou sur le téléphone, dont surgit une déferlante de sons guerriers après la note légère d’une notification. Alors il faut remettre la musique, plus fort, pour couvrir le bruit des massacres, qu’on ne veut pas entendre. 

Y. et Jasmine veulent plus d’argent, une vie plus facile, un avenir pour leur fils, alors quand on propose à Y. de mettre en musique un nouvel hymne contre une belle rémunération et la promesse de somptueux cadeaux, il dit « oui », sans hésiter.

L'acteur Ariel Bronz dans le film "Oui" ("Yes"), du réalisateur israélien Nadav Lapid, sortie le 17 septembre 2025. (LES FILMS DU LOSANGE)

L’acteur Ariel Bronz dans le film « Oui » (« Yes »), du réalisateur israélien Nadav Lapid, sortie le 17 septembre 2025. (LES FILMS DU LOSANGE)

« Mes personnages se sont beaucoup aventurés dans le champ de la rage, de la contestation, de la révolte. Là, c’est le contraire », explique le réalisateur, qui interroge, au-delà de ce qui se déroule dans son pays, la condition de l’artiste, et plus largement l’état du monde aujourd’hui.

« Y. est mon premier personnage principal passif, dans le sens qu’il accepte tout, se donne sans condition. Cela devient très intéressant sur le plan cinématographique. Par ses mouvements et ses gestes, il est le plus actif possible : il n’arrête pas de bouger, de danser. Mais en fait, sa volonté et son désir ont été stérilisés ».

Nadav Lapid

à propos de son film « Oui »

Après s’être acquitté de sa tâche, Y. quitte sans prévenir Tel Aviv et entame un voyage dans le désert, à la frontière de Gaza, où il retrouve son amour de jeunesse, et hurle à la mort cet hymne, taché de sang, en direction de la ville martyrisée. « Je vis une crise personnelle, artistique, morale, profonde comme un cratère », confie-t-il à son ex-petite amie.

Dans Synonymes, Ours d’Or à Berlin en 2019, et Le Genou d’Ahed, Prix du jury au Festival de Cannes en 2021, le réalisateur tirait déjà à boulets rouges sur le gouvernement de son pays. Dans ce nouveau long-métrage, en trois chapitres, il met en scène avec frénésie la tragédie qui se joue depuis le 7 octobre dans son pays, et à Gaza. Plans en mouvements qui s’accélèrent par moments jusqu’à l’abstraction, montage saccadé, musique à bloc, la réalisation, quasi stroboscopique, est à l’image de ce qui se joue dans son pays, de cette fureur sans limites, alimentée par une soif de vengeance, qui s’emballe comme une tornade inarrêtable.

« Tu es mon destin et moi, je suis le tien », dit Y. à Jasmine. Une phrase qu’on ne peut s’empêcher de projeter sur la tragédie qui se joue depuis les origines de la fondation d’Israël. « J’espère que Dieu n’existe pas », dit Y. Plus tard, il dira aussi « Pardon d’être lâche », sous une pluie de cailloux envoyés du ciel par sa mère en colère.

« Oui » est aussi l’histoire d’une propagande, à travers une chanson. Quelques semaines après les attaques du 7 octobre et le début de la guerre à Gaza, une chanson écrite par le poète Haim Gouri sur les événements de la guerre d’indépendance de 1948 a été réécrite, et chantée par des enfants mis en scène dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux par le « Front civique ».

« Tsahal franchit la frontière pour éliminer les porteurs de la croix gammée », « Nous les éliminerons tous », « Nous montrerons au monde comment nous détruisons nos ennemis », voilà ce que raconte ce nouvel hymne que Y. accepte de mettre en musique. « Les paroles terribles que Y. doit mettre en musique sont bien réelles. Elles ne sont pas le fruit de mon imagination », précise le réalisateur.

Au-delà d’une interrogation sur la situation de son pays, Nadav Lapid donne plus largement une peinture de l’état du monde aujourd’hui, de l’outrance ultralibérale, dans l’air du temps, qui dépasse pour le coup les frontières israéliennes, et que le réalisateur dessine dans les décors, dans les costumes, dans les discours de personnages croqués comme les bouffons d’une farce qui les dépasse. La deuxième partie du film s’en va vers plus de calme et d’introspection, mais laisse peu de place à l’espoir. 

Affiche du film

Affiche du film « Oui » (« Yes »), du réalisateur israélien Nadav Lapid, sortie le 17 septembre 2025. (LES FILMS DU LOSANGE)

Genre :  Drame
Réalisation : Nadav Lapid
Titre original : Yes
Avec : Ariel Bronz, Efrat Dor, Naama Preis
Pays :
France, Allemagne, Israël, Chypre
Durée :  2h 30min
Sortie :
  17 septembre 2025
Distributeur : Les Films du Losange
Synopsis : Israël au lendemain du 7 octobre. Y., musicien de jazz précaire, et sa femme Jasmine, danseuse, donnent leur art, leur âme et leur corps aux plus offrants, apportent plaisir et consolation à leur pays qui saigne. Bientôt, Y. se voit confier une mission de la plus haute importance : mettre en musique un nouvel hymne national.