Le 10 septembre, la présidente de la Commission a multiplié les ambitions : une Europe leader du climat, championne du numérique, protectrice du social et intraitable avec les autocrates. Mais derrière ces déclarations, la réalité est moins glorieuse : une Europe marginalisée, dépendante, incapable d’imposer sa voix. Pour preuve, le jour même du discours sur l’état de l’Union d’Ursula von der Leyen devant les eurodéputés, une dizaine de drones russes violaient l’espace aérien polonais. Une provocation supplémentaire contre une Union qui, tout en affichant des discours martiaux, révèle dans les faits son désarroi.
Sur le plan économique et géopolitique, la Russie continue de transformer le gaz en arme diplomatique. La Chine, de son côté, impose des restrictions sur l’exportation de minerais critiques indispensables à nos industries. Quant aux Etats-Unis, leurs droits de douane « négociés » de 15 % en échange d’achats forcés de 1 350 milliards de dollars en gaz, pétrole et investissements divers sur leur sol d’ici à 2028 est une humiliation de plus pour une Europe désormais reléguée au rang de simple vassale pour le plus grand bonheur des populistes « qui nous avaient prévenus » ! Il faut absolument inverser cette tendance, ce qui suppose trois exigences claires : des réformes économiques pour retrouver notre compétitivité, un changement de vision pour assumer l’Europe comme puissance, et une réforme de la gouvernance pour enfin décider et agir.
LIRE AUSSI : Droits de douane : pourquoi l’Europe a accepté les conditions de Donald Trump
Sur le premier point, nous savons déjà ce qu’il faut faire. Il y a un an le rapport Draghi mettait en garde contre la « lente agonie » dans laquelle l’économie européenne semble désormais engagée. Et ce texte trace une feuille de route précise pour la surmonter. Investir massivement dans l’éducation, la recherche et l’innovation pour renouer avec la productivité. Créer une capacité budgétaire commune afin de financer les projets stratégiques dont nous avons besoin. Achever l’union des marchés de capitaux pour mobiliser les plus de 30 000 milliards d’euros d’épargne européenne et les orienter vers l’investissement productif. Depuis, à peine 11 % des 383 propositions de l’ancien président de la BCE ont connu un début de mise en œuvre…
LIRE AUSSI : Comment l’Europe a trahi Mario Draghi, un an après son rapportChanger notre manière de décider
Au-delà de ces réformes économiques indispensables, un enjeu plus profond se pose. Traumatisés par deux guerres mondiales, nous avons cru que le commerce à lui seul allait garantir la prospérité et la paix. L’OMC nous a confortés dans cette illusion d’un marché pur et parfait où toute action politique pourrait être interdite dans le respect absolu du droit international. Au nom de cette jolie philosophie, l’UE a empêché systématiquement la constitution en son sein de grands groupes industriels ou financiers à taille mondiale. D’où sa vulnérabilité aux offensives extérieures et son incapacité à défendre ses intérêts face aux dictateurs qui utilisent l’économie comme une arme politique. Autant dire que les Vingt-Sept doivent réagir très vite : le marché doit devenir le véritable levier de notre puissance. Les 450 millions de consommateurs européens et notre monnaie commune doivent devenir de véritables instruments d’influence. Quant aux mesures de rétorsion, ce « bazooka anticoercition », elles ne peuvent rester une menace jamais mise à exécution : elles doivent être utilisées.
Mais réformer l’économie et assumer l’Europe puissance ne suffiront pas si nous ne changeons pas aussi notre manière de décider. Dans un monde où les décisions se prennent en quelques heures à Washington, Pékin ou Moscou, nous n’avons pas le luxe d’attendre des mois pour obtenir le feu vert de 27 capitales. Ursula von der Leyen a proposé de passer au vote à la majorité qualifiée. Une réforme indispensable qui permettrait à l’UE de parler d’une voix forte et surtout d’agir vite.
Sans réformes économiques pour restaurer notre compétitivité, sans la volonté d’assumer enfin l’Europe puissance et sans une gouvernance capable d’agir, bref sans le retour d’une vision politique pleinement assumée, la « lente agonie » décrite par Draghi va se transformer en « chute brutale ».
.