L’équipe composée uniquement de chercheurs de l’Université de McGill a évalué la réponse de 18 participants hommes et femmes de 20 à 33 ans à une immersion pendant six minutes dans de l’eau froide.
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Une étude de l’université canadienne de McGill, parue le mois dernier, suggère qu’en fonction du sexe, le système nerveux répond différemment lorsqu’un individu souffre d’une douleur prolongée.

C’est une idée bien ancrée. Les femmes, qui accouchent et ont parfois, pendant leurs menstruations, des crampes très douloureuses, sont habituées à mieux gérer la douleur que les hommes. Pourtant, une étude publiée le mois dernier met à mal cette certitude bien ancrée.

Jeffrey Mogil, professeur d’études sur la douleur à l’Université canadienne McGill, est l’un des coauteurs de ce travail de recherche paru le 6 août sur le site de la National Library of Medicine. Il explique au Washington Post  : «Pour moi, la question de “qui est le plus sensible à la douleur” a déjà obtenu une réponse claire. (…) C’est quelque chose qui a été étudié des centaines et des centaines de fois». Il compare même la croyance erronée selon laquelle les hommes sont plus sensibles à la douleur à «une sorte de zombie qui refuse de mourir.»


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Pour mettre fin une bonne fois pour toutes au mythe, l’équipe composée uniquement de chercheurs de l’Université de McGill a évalué la réponse de 18 participants hommes et femmes de 20 à 33 ans à une immersion pendant six minutes dans de l’eau froide. Le compte rendu de l’étude rappelle que c’est le système nerveux sympathique qui entretient la douleur chronique (celle qui dure plus de trois mois), en déclenchant le stress lié à la réaction «de combat ou de fuite».

Variation de la réponse du système nerveux selon le sexe

«L’activité de ce système (nerveux sympathique, NDLR) est mesurée par l’activité musculaire sympathique (AMS), soit des impulsions nerveuses qui agissent sur les vaisseaux sanguins», détaille le rapport, ajoutant que les chercheurs ont «examiné la relation entre les évaluations de la douleur et l’AMS». Les participants quantifiaient leur douleur en lui attribuant une note de 0 à 10, tandis que leurs paramètres cardiovasculaires (fréquence cardiaque et tension artérielle) et leur activité musculaire sympathique étaient évalués simultanément.

Si les chercheurs notent que la douleur, la fréquence cardiaque et la tension artérielle ont augmenté au cours des 30 premières secondes chez les participants des deux sexes, ils indiquent que l’AMS augmentait davantage chez les femmes que chez les hommes. «Nous avons observé une forte corrélation entre la douleur et la fréquence cardiaque chez les hommes, tandis que chez les femmes, une forte corrélation entre la douleur et les variables de l’AMS était observée», poursuivent-ils dans leur compte rendu. Ces observations suggèrent donc qu’en fonction du sexe, le système nerveux répond différemment lorsqu’un individu souffre d’une douleur prolongée.

De plus, Jeffrey Mogil indique que «tout semble différencier les hommes et les femmes», des circuits cérébraux et jusqu’aux cellules immunitaires impliquées dans le traitement de la douleur. Ainsi, le fonctionnement du cerveau diffère entre les hommes et les femmes souffrant d’une même douleur chronique. Le cortex cingulaire antérieur sous-génital (sgACC) est une région spécifique du cerveau qui agit au sein du système naturel de soulagement de la douleur. «Quelle que soit la façon dont nous observons le système cérébral lié à la douleur — que ce soit en termes d’activité, de connexion à d’autres zones du cerveau ou d’oscillations — cette zone du cerveau apparaît sans cesse comme étant différente chez les hommes et les femmes», explique au quotidien américain Karen Davis, scientifique principale au Krembil Brain Institute du University Health Network, qui étudie le sgACC depuis plus d’une décennie.

Karen Davis et ses collègues ont constaté que les femmes atteintes de spondylarthrite ankylosante, une forme d’arthrite lombaire, présentent une meilleure connectivité entre le sgACC et les régions cérébrales impliquées dans le traitement des informations sensorielles que les hommes. Ce circuit cérébral unique pourrait expliquer pourquoi les femmes atteintes de la maladie présentent un handicap fonctionnel plus important, une charge de morbidité plus lourde et une réponse moindre au traitement comparées aux hommes.


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«Schémas de câblages totalement différents»

Les différences entre les sexes dans la biologie de la douleur vont au-delà du cerveau, comme l’a déjà démontré depuis longtemps le laboratoire de Jeffrey Mogil. Dès 1996, il met en évidence l’existence de gènes spécifiques au sexe influençant la perception de la douleur. Plus tard, il découvre des différences surprenantes entre les sexes dans la manière dont les cellules immunitaires contribuent à la douleur. Plus récemment, des chercheurs ont découvert que même les nocicepteurs – les neurones sensoriels situés dans la peau, les muscles, les articulations et les organes internes qui envoient les signaux de douleur au cerveau – fonctionnent différemment chez les hommes et les femmes, aussi bien chez les humains que chez les animaux.

Les hormones sexuelles contribuent également à la douleur. À la puberté, alors que le corps subit des changements hormonaux importants, des différences marquées entre les sexes dans la prévalence des douleurs cliniques commencent à apparaître. Alors que le nombre de filles et de garçons prépubères souffrant de migraines est à peu près équivalent, la prévalence double chez les femmes après la puberté. De plus, l’intensité des symptômes de douleur chronique peut varier au cours du cycle menstruel.

«Ces études nous envoient un message clair : les différences entre les sexes ne sont pas seulement plus fortes ou plus faibles ; il s’agit souvent de schémas de câblage totalement différents», conclut Sean Mackey, chef du service de médecine de la douleur à l’Université de Stanford, au Washington Post. «Et nous devons tenir compte de ces différences entre hommes et femmes lors de leur prise en charge.»