À six mois pile des élections municipales, un premier sondage Ifop est arrivé, et il a fait parler. Commandé par le mouvement Aimer Strasbourg de Jean-Philippe Vetter, il place ce dernier et Catherine Trautmann au coude à coude. Jeanne Barseghian arrive elle en 3e position. Une photographie à l’instant T qui mérite un petit décryptage.

Ça y est : la campagne des municipales strasbourgeoises s’accélère. Après la nouvelle de la candidature de Jeanne Barseghian en juin dernier, l’été a été plutôt calme en annonces.

Certains mouvements ont doucement oeuvré à mettre en forme leurs propositions et ambitions, LFI souhaite prendre une place plus importante et les partenaires de la coalition municipale appellent à un tournant social et populaire. Enfin, le 4 septembre dernier, Pierre Jakubowicz a mis fin au suspens (imaginaire) autour de sa candidature et s’est lancé dans la bataille.

cathédrale quai des Bateliers © Anthony Jilli / Pokaa

Une campagne des municipales qui promet d’être longue, mais qui a passé la seconde la semaine dernière. Le 12 septembre, un sondage Ifop a été divulgué par les DNA et a créé quelques remous dans le microcosme de la politique locale strasbourgeoise, avec des projections qui ont occupé tout ce petit monde durant le week-end.

Et ce, même si la fiabilité de ces outils est hautement sujette à débats et qu’il est préférable de ne pas lui faire dire ce qui nous arrange. Il vaut mieux décrypter ce sondage et le remettre dans son contexte !

hotel de ville Objectif hôtel de ville. © Nicolas Kaspar / Pokaa

Étape 1 : l’analyse brute des chiffres

Bien évidemment, le premier intérêt d’un sondage sont les résultats qu’il met en avant. Revenons alors aux bases : ce sondage Ifop a placé Catherine Trautmann en tête des intentions de vote avec 25%, devant Jean-Philippe Vetter et ses 24%.

La vraie surprise, qui a occupé la majeure partie des discussions politiques, est pourtant autre : la maire sortante Jeanne Barseghian clôture le podium avec seulement 17%. Dans l’ordre, on a ensuite : Emmanuel Fernandes (LFI) en 4e position avec 13%, talonné par Virginie Joron (RN) à 11%, puis Pierre Jakubowicz à 6% et Nicolas Matt à 4%.

Le sondage a également testé une deuxième hypothèse, avec une union de la droite et du centre, où Pierre Jakubowicz et Nicolas Matt pourraient s’effacer derrière Jean-Philippe Vetter. Dans cette hypothèse, le candidat LR passerait en tête avec 28%, talonné par Catherine Trautman à 27%. Jeanne Barseghian suit à 19%, avec ensuite Emmanuel Fernandes et Virginie Joron à 13%.

catherine trautmann

vetter

Les deux « vainqueurs » du sondage. © Nicolas Kaspar / Pokaa

Pris bruts, ces chiffres offrent plusieurs indications. Ils confirment un narratif de mécontentement de la population strasbourgeoise envers le mandat de Jeanne Barseghian, malgré le positivisme de la maire et de son groupe politique sur le sujet. Surtout que, toujours selon le sondage, 70% des sondé(e)s affirment ne pas souhaiter que l’actuelle maire soit réélue.

Ensuite, ils montrent l’importance de la politique nationale. Pour preuve, Pierre Jakubowicz et Nicolas Matt ont à peine 10% en cumulant les résultats, payant la proximité avec Emmanuel Macron. Les choix, à droite comme à gauche, se reportent alors vers les figures plus connues et établies que sont Jean-Philippe Vetter et Catherine Trautmann. Cette dernière réussit d’ailleurs bien au niveau des électeurs/rices se disant de droite, avec 19% d’entre eux/elles affirmant la voir devenir maire. Enfin, ils valident la progression de LFI (qui l’emporte à Strasbourg dans les élections nationales) sur le plan local au détriment du pourcentage des Écologistes.

Jeanne Barseghian

pierre jakubowicz

1. © Anthony Jilli / Pokaa ; 2. © Nicolas Kaspar / Pokaa

Étape 2 : la mise en contexte et les zones d’ombre

Seulement, impossible de lire les résultats bruts sans remettre le sondage dans son contexte. Premièrement, l’enquête d’opinion a été réalisée du 29 août au 4 septembre 2025 auprès de 614 électeurs/rices inscrit(e)s. On a déjà fait plus représentatif.

Deuxièmement, il est bon de rappeler que cette enquête a été commandée par le mouvement Aimer Strasbourg, piloté par Jean-Philippe Vetter.

Troisièmement, le sondage est uniquement une photographie d’une situation à l’instant T. Peut-être que si le sondage avait été réalisé après le blocage du 10 septembre, les résultats auraient été différents.

Fête la musique 2025, foule, ambiance, chaleur, coucher de soleil, Grand Rue, jour © Wilfried Rion / Pokaa

En outre, un sondage réalisé à six mois des élections n’a aucun intérêt concret, car il est impossible de prévoir quoi que ce soit, notamment niveau participation et donc abstention.

Prenons par exemple la situation il y a 5 ans, avec un sondage publié fin janvier 2020. À l’époque, Jeanne Barseghian (27%) est devant Alain Fontanel (25%), Jean-Philippe Vetter (14%), le RN (11%) puis PS et LFI (9%). Mais début février 2020, Catherine Trautmann remplace Mathieu Cahn, revitalisant une campagne exsangue. Puis à trois semaines du scrutin, c’est cette fois Fontanel (27%) qui devance Barseghian (25%), devant Trautmann (17%), Vetter (15%) et le RN (10%). Bref, pas grand-chose de juste…


Ensuite, vrai problème méthodologique : le sondage fait concourir plusieurs candidat(e)s… qui ne le sont pas (encore) : Catherine Trautmann (les investitures tomberont début novembre), Emmanuel Fernandes et Nicolas Matt (plus d’informations après ce week-end). On peut rajouter que l’enquête s’est terminée le jour même où Pierre Jakubowicz s’est déclaré candidat, lui ôtant sans doute quelques points.

Finalement, le seul véritable intérêt d’un sondage est de permettre aux « vainqueurs » de s’en servir comme moyen de pression dans d’éventuelles négociations, qu’elles soient pour unir les listes, ou pour obtenir l’investiture. Sans aucun doute que ces manoeuvres-là ont déjà débuté, et que Jean-Philippe Vetter doit se réjouir des résultats du sondage, le plaçant en position de force par rapport à Pierre Jakubowicz et Renaissance.

Manifestation contre le RN élections européennes dissolution assemblée nationale emmanuel fernandes

nicolas matt

1. © Adrien Labit / Pokaa ; 2. © Page Facebook de Nicolas Matt / Capture d’écran

Étape 3 : qu’est-ce qu’on peut retenir de ce sondage ?

Avec ce contexte-là en tête, on peut retenir trois sujets majeurs, tout en gardant quelques pincettes. Le premier, c’est que la réélection de Jeanne Barseghian devrait être bien plus compliquée que son élection en 2020 : il y a bien entendu la cristallisation des mécontentements, mais il y a aussi la déception d’une partie de l’électorat de gauche strasbourgeois, et la place plus importante prise par LFI, ce qui pourrait coûter des voix aux Écologistes. Aujourd’hui, ces derniers/ères n’ont plus le vent dans le dos comme en 2019, particulièrement auprès des jeunes électeurs/rices.

Le second, c’est que Strasbourg reste une ville majoritairement ancrée à gauche, dans ses différentes nuances. Catherine Trautmann, Jeanne Barseghian et Emmanuel Fernandes se partagent en effet 59 % des suffrages exprimés en cas d’union de de la droite et du centre, et 55 % en cas de division. Bien qu’au coude à coude au premier tour, Jean-Philippe Vetter pourrait souffrir d’un manque de réserve de voix pour devenir maire.

elections-municipales-strasbourg-2020-pokaa © Pokaa

Ainsi, le grand enseignement à retirer est que le jeu des alliances sera sans doute la clé du succès, avant même le premier tour. Alors que Renaissance se cherche encore une tête de liste et que Pierre Jakubowicz ne sort pas en position de force, le « bloc central » paraît plus affaibli que jamais à Strasbourg. Iront-ils chacun de leur côté, s’allieront-ils au premier tour ou choisiront-ils de s’arrimer à Jean-Philippe Vetter, ou même au PS avec qui ils ont mené plusieurs combats locaux ? Côté écologiste, quelle place accorder à ses partenaires de mandature au premier tour, puis éventuellement à LFI au second ?

De nombreuses questions qui ne manqueront pas de rythmer la campagne strasbourgeoise, qui va s’accélérer dans les prochaines semaines. Il faudra s’attendre à d’autres sondages divulgués par les médias locaux, des investitures surprises, des alliances… Bref, la jungle des municipales. Et en six mois, beaucoup de choses peuvent changer.