Une défense datée et inadaptée

En position de force sur le champ de bataille ukrainien, Moscou teste ouvertement les capacités de réaction des membres de l’Otan. Et force est de constater qu’elles ne sont pas adaptées. L’exemple polonais est là pour en attester. Dans la nuit du 9 au 10 septembre, des F-16 allemands, des F-35 néerlandais, des batteries de Patriot allemandes et un avion italien de surveillance aérienne sont intervenus conjointement pour neutraliser la vingtaine de drones russes.

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Entre trois et cinq de ces drones ont été détruits en plein vol, par des missiles chers et sophistiqués. Un drone Shahed coûte environ 20 000 dollars, un drone Gerbera de fabrication russe tels que ceux déployés mercredi, 10 000 dollars, et un missile de F-35… 400 000 dollars pièce. Après avoir félicité les troupes impliquées dans l’opération, le Secrétaire général de l’Otan, Mark Rutte, a donc lui-même reconnu que l’Alliance devait impérativement se doter de moyens de défense plus efficaces et « meilleur marché ». D’autant plus qu’une attaque aérienne type de drones russes sur l’Ukraine ne repose pas sur vingt, mais sur six cents à huit cents drones et missiles envoyés conjointement.

Durant la guerre froide, les pays du bloc occidental « pouvaient encore compter sur une défense antiaérienne dite de « basse-couche » pour faire face aux hélicoptères », analyse Léo Péria, chercheur en armement et industrie de défense à l’Institut français des relations internationales (IFRI). Ces capacités ont ensuite été délaissées au profit de capacités concentrées sur le haut du spectre : des missiles de plus en plus évolués et de plus en plus coûteux, conçus pour intercepter des menaces technologiquement complexes mais rares. En d’autres termes, on s’est mis à développer des munitions très performantes pour affronter un petit nombre de cibles. Aujourd’hui, face au retour de cibles peu coûteuses mais très nombreuses, ces outils ne sont pas performants ».

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Pour les analystes comme pour les dirigeants européens, le constat est clair : si la Russie devait attaquer l’Europe, notre défense antiaérienne ne serait absolument pas à la hauteur.

L’indispensable expertise ukrainienne

Des initiatives ont cependant vu le jour ces dernières années. Des géants de l’armement comme le Suédois Saab ou le Français DGA ont récemment et respectivement développé un missile low cost et un système laser anti-drones. Le Danemark vient quant à lui d’annoncer un investissement de 7,76 milliards d’euros pour acquérir huit systèmes de défense antiaériens de longue et moyenne portée auprès de fabricants européens, pour mettre en place « une défense aérienne terrestre composée de plusieurs systèmes intégrés, fournissant plusieurs niveaux de protection de l’espace aérien ». Mais le déploiement complet de ces systèmes prendra plusieurs années.

« Les technologies de basse-couche qui nous manquaient existent déjà, commente Léo Péria. Elles sont assez simples, il s’agit par exemple de petites tourelles que l’on place sur des véhicules d’infanterie avec un radar de suivi, un radar de guidage et un canon. Les Pays-Bas et le Danemark en ont déjà commandé, l’Allemagne pourrait en commander 900, mais quoi qu »il arrive, tout cela prendra effectivement du temps. »

Si les membres européens de l’Otan veulent rapidement mettre en place un bouclier aérien multicouches et efficace, ils n’ont d’autre choix que de se tourner vers leur partenaire ukrainien.

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Le 10 septembre, le Commissaire européen à la Défense, Andrius Kubilius appelait les États membres à développer un « mur de drones » le long de la frontière Est de l’UE, tel que réclamé depuis des années par la Pologne et les pays baltes. Dans le discours sur l’État de l’Union qu’elle a prononcé quelques heures plus tard, la présidente de la Commission Ursula von der Leyen a annoncé le déblocage d’un prêt de 6 milliards d’euros afin de financer une « alliance de drones » avec l’Ukraine. De quoi permettre aux alliés européens de Kiev de bénéficier de son expertise en matière de défense anti-drones, et de mettre à sa disposition les capacités de production industrielle de l’Union.

« L’Ukraine propose depuis longtemps à ses partenaires la création d’un système commun de défense aérienne afin de garantir la destruction » des drones et des missiles russes, lui a prestement répondu le président ukrainien Volodymyr Zelensky. « L’Ukraine possède une expérience unique dans la construction d’une défense multisystèmes : défense aérienne, groupes de tir mobiles, drones intercepteurs, aviation, hélicoptères et plusieurs couches de guerre électronique. C’est la seule façon de stopper les attaques massives. Aujourd’hui, hormis l’Ukraine et la Russie, personne ne dispose d’un tel système ». Kiev, a-t-il conclu « est prête à partager cette expérience avec (ses) partenaires polonais et européens ». Tant mieux, ils en ont bien besoin.