Se dirige-t-on vers le concours de l’Eurovision le plus politique de l’histoire ? Se dirige-t-on vers un Eurovision 2026 tout court ? La question est ouverte après que pas moins de quatre pays ont indiqué qu’ils ne prendraient pas part à la prochaine édition devant se dérouler à Vienne (Autriche) en mai si Israël y participait. Ce lundi matin, le Premier ministre espagnol Pedro Sanchez et son ministre de la Culture Ernest Urtasun ont même réitéré leur volonté d’une exclusion du pays des compétitions internationales.

Quels pays ont annoncé leur retrait ?

Pour l’heure, quatre pays ont officiellement annoncé ces derniers jours qu’ils ne participeraient pas au concours si Israël maintient sa présence : la Slovénie, l’Irlande, l’Islande et les Pays-Bas.

« RTÉ (Radiotélévision d’Irlande) estime que la participation de l’Irlande serait inadmissible compte tenu des pertes humaines effroyables qui continuent de se produire à Gaza. RTÉ est également profondément préoccupée par les assassinats ciblés de journalistes à Gaza (…) et le sort des otages qui restent retenus en captivité », a notamment soutenu la télévision irlandaise jeudi 11 septembre.

D’autres pays, comme l’Espagne (qui doit se prononcer ce mardi), la Belgique ou la Finlande pourraient prendre des décisions similaires dans les prochaines semaines.

Pourquoi cela n’est pas une surprise ?

« C’est une réaction qui était attendue au vu de la durée de la guerre menée par Israël à Gaza et l’augmentation des mouvements contre ses agissements », résume auprès du Parisien Dean Vuletic, docteur en histoire contemporaine et spécialiste de la géopolitique de l’Eurovision.

Au niveau des diffuseurs publics, la grogne est également montée d’un cran après qu’une agence du gouvernement israélien a financé des publicités sur les réseaux sociaux pour soutenir sa candidate lors de l’édition 2025, une première dans l’histoire du concours. Cela a porté Yuval Raphael en tête du vote du public, alors que les jurys professionnels la plaçaient bien plus loin. Elle a ainsi terminé 2e du concours derrière l’Autriche.

Au vu des tensions générées, l’Union européenne de radiodiffusion (UER), l’institution qui organise l’Eurovision, pourrait pousser dans le sens d’un retrait de l’État hébreu. Dean Vuletic plaide également pour une telle décision dans l’intérêt général de l’événement. Mais lui-même n’y croit pas : « Israël a toujours voulu rester dans le concours, a fortiori depuis le 7 octobre, en envoyant des chansons à messages politiques. »

Comment réagit Israël dans cette affaire ?

Le président de la KAN, la télévision publique israélienne, a réagi ce lundi matin pour la première fois à ces prises de position : « Il n’y a aucune raison pour qu’Israël ne continue pas à être un membre significatif de cet événement culturel, qui ne doit en aucun cas devenir politique », a déclaré Golan Yochpaz, cité par Ynet.

Le même média avançait ce dimanche que l’UER avait proposé à la KAN de concourir sous drapeau neutre ou de se retirer. Des affirmations qui ont été démenties dans la foulée par l’organisation auprès de The Hollywood Reporter. L’UER insiste sur le fait qu’aucune décision n’a été prise pour l’heure, dans un sens ou dans un autre.

Ces quelques pays peuvent-ils suffire à mettre le concours en danger ?

Pour Dean Vuletic, oui. L’historien évoque la boîte de Pandore ouverte par ces premières défections : « Le problème de toute cette salve de boycotts ou de retraits, c’est qu’une fois que quelqu’un a lancé les hostilités, ça ne peut qu’aller de mal en pis. »

Par ailleurs, le moindre retrait a un impact : « Peu importe la taille du pays, ça fait toujours un participant de moins au final », déplore-t-il. Alors qu’une quarantaine de concurrents étaient présents à la fin des années 2000 ou durant les années 2010, le contingent est tombé à 37 cette année. « Un seul pays qui se retire pour cette raison, c’est déjà quelque chose d’historique. C’est un gros fardeau pour l’UER », abonde l’historien.

Mais il envisage aussi la possibilité inverse engendrée par une exclusion de l’État hébreu : « Si un vote des membres de l’UER débouche sur une exclusion d’Israël, on pourrait aussi redouter la réaction de certains pays qui refuseraient de soutenir cette décision. » En effet, l’Allemagne a déjà annoncé qu’elle ne participerait pas en cas d’exclusion israélienne.

Pourquoi l’UER ne prend pas une décision claire envers Israël comme avec la Russie ?

De nombreux partisans de l’exclusion d’Israël mettent en avant l’interdiction immédiate pour la Russie de prendre part au concours dès le début de l’invasion ukrainienne en février 2022. Mais Dean Vuletic soulève une distinction cruciale entre ces deux cas : « L’exclusion de la Russie s’inscrivait dans un contexte de sanctions globales internationales. »

L’UER n’est pas une organisation politique. En revanche, elle reflète les positions politiques internationales des diffuseurs qu’elle représente : « On entend de plus en plus bruisser l’idée de sanctions de la part de l’Union européenne à l’égard d’Israël. Des diffuseurs prennent donc la parole actuellement, en cohérence avec leur politique internationale. S’il y a des sanctions de la part des entités politiques, alors l’UER sera plus légitime à s’inscrire dans la continuité », résume le spécialiste.

En attendant, l’UER a donné jusqu’à mi-décembre aux télévisions pour confirmer ou non leur participation à l’Eurovision 2026. Un délai rallongé par rapport aux autres années (mi-octobre), qui cache pour beaucoup d’acteurs le souhait de repousser au maximum une prise de décision sur la question israélienne, mais aussi de permettre aux autres pays de trancher en fonction de l’évolution de la situation.

« Il appartient à chaque membre de décider s’il souhaite participer et nous respecterons toute décision prise par les diffuseurs », a souligné l’UER dans un communiqué publié ce vendredi.

Quelle est la position de la France ?

Lundi, dans la journée, France Télévisions n’avait pas encore confirmé la participation française à l’Eurovision 2026. Selon nos informations, le groupe public devrait bien envoyer un candidat à Vienne, sans commenter la polémique en cours.