Justice militaire critiquée –
Faut-il amnistier les Suisses qui combattent en Ukraine?
Servir dans une armée étrangère peut mener tout droit en prison. Une motion propose de biffer la sanction. Débat entre deux élus.
Publié aujourd’hui à 08h34
Manfred Bühler (UDC/BE) et Christian Dandrès (PS/GE) sont dans des camps opposés sur la question de la réhabilitation des combattants suisses en Ukraine.
Nicole Philipp-Georges Cabrera-Tamedia
En bref:
- L’interdiction pour les Suisses de combattre à l’étranger est sanctionnée jusqu’à 3 ans de prison.
- Une motion parlementaire propose d’amnistier les Suisses combattant en Ukraine.
- Manfred Bühler (UDC/BE) s’y oppose pour préserver la neutralité suisse.
- Christian Dandrès (PS/GE) veut, lui, épargner les combattants protégeant des peuples injustement bombardés.
La Suisse ne partage pas ses militaires. Quiconque a le passeport à la croix blanche a l’interdiction de «louer» son fusil ou de le mettre gratuitement à disposition d’un autre État. Braver cette interdiction, c’est risquer la prison ferme. Le Code pénal militaire est clair: la sanction va de la simple amende à 3 ans de privation de liberté.
Pas de quoi dissuader Jona Neidhart. Le Bernois a passé deux ans dans la Légion internationale des forces armées ukrainiennes. De retour en Suisse, il s’est rendu à la police et attend sa condamnation. En parallèle, il n’hésite pas à dénoncer publiquement l’hypocrisie de la neutralité suisse. C’est son histoire qui a convaincu Jon Pult (PS/GR) de déposer une motion pour lever toute sanction à l’encontre des combattants suisses en Ukraine.
Jona Neidhart a été tireur d’élite dans le Donbass.
Tamedia AG
Le texte est au programme, mardi, du National. Acceptera-t-il d’amnistier les combattants suisses en Ukraine? On le saura bientôt. Christian Dandrès (PS/GE) et Manfred Bühler (UDC/BE) débattent de la question en primeur.
Manfred Bühler (UDC/BE): «Il n’y a aucune raison de réhabiliter les Suisses qui veulent jouer les héros»
Les Suisses, qui combattent en Ukraine, défendent des valeurs similaires aux nôtres. Méritent-ils la prison?
Ces Suisses ne défendent pas nos valeurs fondamentales. Bien au contraire. Ils les bafouent. La Suisse est un pays neutre, qui ne s’engage pas dans des conflits étrangers. Notre droit est par ailleurs clair. Quiconque le viole, même si c’est pour des raisons morales, doit en accepter les conséquences. Du point de vue suisse, la valeur de neutralité est bien supérieure à une volonté quelconque de corriger une violation du droit international.
Manfred Bühler (UDC/BE), conseiller national.
Nicole Philipp
Des réhabilitations ont déjà eu lieu par le passé. Pourquoi ne pas en faire de même pour les combattants suisses en Ukraine?
Je ne suis pas un grand fan de ces réhabilitations. Mais je ne les exclus pas dans certains cas spéciaux. Une réhabilitation peut se justifier après un examen historique du conflit, par exemple, pour les personnes qui ont aidé des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. Je ne vois, en revanche, aucun motif de réhabilitation pour un Suisse qui veut aller jouer les héros en Ukraine. On ne peut pas donner carte blanche à des combattants suisses pour violer la neutralité suisse. C’est un acte grave, qui remet en cause notre crédibilité au niveau international. La morale ne peut en aucun cas guider la politique internationale.
On parle d’individus. Ils ne représentent pas la Suisse…
Si une personne avec un passeport suisse combat en Ukraine, on ne peut pas éviter l’amalgame. L’acte, même s’il n’est pas officiel, va être assimilé à un acte de la Suisse.
Christian Dandrès (PS/GE): «Il est temps de changer le Code pénal militaire»
Les Suisses qui combattent en Ukraine connaissent les risques encourus. Pourquoi les amnistier?
En attaquant l’Ukraine, la Russie commet une guerre d’agression. On ne peut pas condamner celui qui défend les populations bombardées et les principes les plus fondamentaux de coexistence entre les peuples. Sauf bien sûr s’il est coupable d’exactions.
Le Code pénal militaire doit-il être changé?
L’article 94, qui interdit de servir dans une armée étrangère, date d’une autre époque. Il a déjà conduit à des condamnations choquantes, comme les combattants en Espagne contre le franquisme en 1936. Le parlement a dû les réhabiliter. Il est temps de changer cette disposition, maintenant que les autorités ont tout pour lutter contre les crimes de guerre et l’impunité.
Christian Dandrès (PS/GE), conseiller national.
Georges Cabrera
Accorder une amnistie seulement aux Suisses engagés auprès de Kiev reviendrait à prendre parti. Berne doit-elle abandonner sa neutralité?
Celles et ceux qui s’engagent contre la guerre du régime de Poutine ne le font pas au nom de la Confédération. La neutralité ne s’impose pas à tout citoyen.
Le PS s’oppose à l’armée. Pourtant, avec votre proposition d’amnistie, vous donnez carte blanche aux jeunes pour se battre. Hypocrite?
Ça n’a rien à voir. L’antimilitarisme ne doit pas s’appuyer sur les instruments de répression de l’État. Le PS refuse que l’on mette en prison des jeunes qui combattent pour défendre l’intégrité territoriale de l’Ukraine ou qui s’engagent contre l’oppression.
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Se connecterDelphine Gasche est correspondante parlementaire à Berne depuis mai 2023. Spécialisée en politique, elle couvre avant tout l’actualité fédérale. Auparavant, elle a travaillé pendant sept ans pour l’agence de presse nationale (Keystone-ATS) au sein des rubriques internationale, nationale et politique.Plus d’infos
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